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dissolution des religions.

qu’elle n’est pas de 20 pour 1000 en Normandie. Enfin, un exemple frappant de l’influence de l’émigration a été tiré, en France même, du département des Basses-Pyrénées, où le courant de la natalité suit le courant de l’émigration : les naissances s’y sont graduellement relevées depuis que les départs en Amérique font des vides dans la population.

Occupons-nous maintenant des causes morales qui existent du côté féminin. Il est naturel que, dans un certain monde, les femmes aiment peu à être mères : c’est en effet le seul travail qui leur reste à accomplir, et cette dernière tâche leur est d’autant plus à charge que la fortune les a débarrassées de toutes les autres. Elles n’ont même plus à nourrir, le sein maternel peut se faire remplacer ; elles n’ont plus à élever et à instruire, il y a des précepteurs ; mais personne ne peut enfanter à leur place, et dans leur vie de frivolité il reste ce dernier acte sérieux à accomplir. Elles protestent, elles ont raison. L’ambition des femmes du grand monde étant trop souvent, comme on sait, de copier celles du demi-monde, il était bien qu’elles les imitassent sous ce rapport comme sous tous les autres, et qu’elles cherchassent à établir entre le mariage et la prostitution cette nouvelle ressemblance : l’infécondité.

Même chez les femmes du peuple la gestation et l’accouchement, étant le plus dur travail, est aussi celui qui est l’objet de la plus vive répulsion et des protestations de toute sorte. Je n’ai pas vu une femme du peuple qui ne se lamentât d’être enceinte, qui ne préférât même toute autre maladie à cette maladie de neuf mois. « Ah ! nous ne faisons pas, nous recevons, me disait l’une d’elles ; sans cela… » Elle résumait ainsi la situation physiologique et psychologique de la femme pauvre. Celles qui n’ont pas eu d’enfants, loin de s’en plaindre, s’estiment le plus souvent très heureuses. En tout cas, elles n’en désirent presque jamais plus d’un.

En Picardie et en Normandie, remarque M. Baudrillart, on se moque de la femme qui a beaucoup d’enfants. Ce qui sauve la fécondité de la femme dans les autres provinces — à défaut de la religion — c’est son ignorance. Elle ne connaît pas toujours Malthus. Elle ne trouve qu’un remède au mal qu’elle redoute : fuir son mari. Telle femme d’ouvrier préfère être battue que risquer d’avoir un nouvel enfant ; mais, comme elle est la plus faible, elle reçoit