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la religion et la fécondité des races.

tifiée médicalement, elle devient respectable ; elle vaut, d’ailleurs, même au point de vue social, car les enfants nés dans ces conditions seraient malingres et peu viables. Mais, dans le nombre presque total des cas, les raisons de l’infécondité sont de l’ordre économique et sont plus ou moins égoïstes. La stérilité française est un phénomène économique bien plutôt qu’un phénomène physiologique. Le père de famille fait ce calcul qu’il doit parfois prendre sur son nécessaire pour élever une nombreuse famille, qu’au lieu d’éparg-ner au moment où il est dans la force de l’âge, il devra dépenser pour ses enfants, qu’il condamnera peut-être ainsi sa vieillesse à la misère : il voit dans la fécondité une prodigalité. Notre budget de 4 milliards 200 millions représente une moyenne d’impôts de 113 francs par tête : avec de tels impôts il faut assurément, pour nourrir une nombreuse famille, ou une certaine fortune ou une bien savante organisation de la misère.

Autre raison. Le petit propriétaire a une sorte de fétichisme de la terre : son champ, sa maison sont pour lui comme des personnes qu’il veut confier en mains sûres. S’il a plusieurs enfants, il faudra partager ces trésors, peut-être les vendre au cas où on ne pourrait les diviser également. Le paysan n’admet pas cette division de la propriété, pas plus que le gentilhomme de vieille souche n’admet l’aliénation du château des ancêtres. Tous les deux aiment mieux mutiler leur famille que leur domaine. Élever un enfant, c’est pourtant créer un capital, et la fécondité est une forme comme une autre de l’épargne sociale. Les économistes et les paysans français admettent volontiers que l’élevage d’un veau ou d’un mouton constitue une richesse ; à plus forte raison devraient-ils l’admettre pour celui d’un enfant en bonne santé. Mais il y a une différence, c’est que le bœuf, une fois élevé, travaille uniquement pour l’éleveur, tandis que l’enfant, une fois homme, ne travaille plus pour le père de famille. Au point de vue égoïste du père, il y a avantage à élever des bœufs et des moutons ; au point de vue social, il y a un avantage incontestable à élever des hommes. Dans tous les pays neufs, la race française redevient prolifique, parce que le nombre des enfants n’apparaît plus alors comme une charge, mais comme un profit. Au Canada, soixante mille Français ont donné naissance à un peuple de deux millions et demi. En Algérie, la natalité est de 30 à 35 jpour 1000, alors