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dissolution des religions.

La religion est la loi des peuples primitifs ; lorsqu’elle s’affaiblit, deux parts se font dans ses prescriptions : les unes, considérées comme inutiles, sont négligées et perdent toute valeur ; les autres, considérées comme des garanties de la vie sociale, se formulent en lois morales ou civiles d’un caractère obligatoire. C’est ainsi que beaucoup de mesures d’hygiène prescrites par les religions orientales sont devenues purement et simplement des mesures de police sous le régime européen. Dans la question qui nous occupe, il est évident que la loi doit suppléer à l’influence décroissante de la religion, comme elle l’a fait ailleurs : le législateur doit se substituer au prêtre. Cette substitution avait déjà eu lieu chez les Grecs, dont l’organisation sociale était si avancée : la loi, intervenant dans la famille, prescrivait au citoyen d’avoir des enfants. On connaît la loi d’Athènes qui força Socrate à prendre une seconde femme. À Sparte, le jeune époux vivait à la caserne jusqu’à ce qu’il eût donné trois fils à l’État ; il n’était dispensé de tout service militaire que quand il en avait donné quatre[1]. Évidemment personne ne peut aujourd’hui songer à des lois aussi radicales. De plus, ce n’est pas une loi simple et risant directement la population qui peut nous guérir : il faut un système de lois se soutenant et se complétant l’une l’autre. Il faut connaître la série des raisons psychologiques qui peuvent pousser un père de famille à n’avoir pas de famille, ou à peu près ; ces raisons une fois connues, il faut une série de lois destinées à les supprimer ou à les contrebalancer par d’autres raisons. De cette sorte, partout où la stérilité représente un intérêt, un autre intérêt contraire sera créé en faveur de la fécondité, — intérêt conforme cette fois au devoir social. C’est donc d’abord dans la famille même qu’il faut agir, par les lois et par cette réforme progressive des mœurs à laquelle les lois peuvent si grandement contribuer.

Le père de famille renonce aujourd’hui à avoir beaucoup d’enfants pour des motifs assez variés, quelquefois contraires, qu’il importe de bien connaître avant de rechercher comment on pourrait modifier ses raisons d’agir. Il y a d’abord, maisbien rarement, des raisons phvsiques : la mauvaise santé de la mère, la crainte de la tuer par des grossesses répétées. Lorsque cette crainte est jus-

  1. Arist., Polit., II, 6, 13.