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la religion et la fécondité des races.

il serait très possible qu’on vît, au sein du protestantisme, la fécondité diminuer en proportion du libéralisme des croyances. Si Darwin et Spencer ont pu avoir des partisans dans le haut clergé anglais, des sectateurs parmi les protestants américains, pourquoi Malthus n’en aurait-il pas ? Malthus était du reste un homme grave et religieux.

La religion catholique a elle-même le tort de porter directement atteinte à la fécondité par le célibat religieux. En France, 130 000 personnes des deux sexes sont astreintes à ce célibat[1]. Il est à regretter que le catholicisme qui, durant plusieurs siècles — au temps où saint Sidoine Apollinaire, gendre de l’empereur Avilus, était évêque de Clermont-Ferrand — n’imposa nullement le célibat aux ecclésiastiques, ait cru plus tard devoir l’exiger, en soit venu à considérer la continence absolue et la viduité indéfinie comme bien supérieures à l’état de mariage, contrairement à toutes les lois physiologiques et psychologiques. « Ce métier de continence, dit Montesquieu, a anéanti plus d’hommes que les pestes et les guerres les plus sanglantes n’ont jamais fait. On voit dans chaque maison religieuse une famille éternelle où il ne naît personne, et qui s’entretient aux dépens de toutes les autres. Ces maisons sont toujours ouvertes comme autant de gouffres où s’ensevelissent les races futures. » Le célibat religieux a encore un autre inconvénient : les prêtres, sans constituer aujourd’hui l’élite de la société, n’en sont pas moins une des classes les plus intelligentes, où l’éducation est le plus répandue, où les passions antisociales sont le plus rares. Toute cette portion de l’humanité s’anéantit totalement de gaieté de cœur, se consume elle-même sans laisser de traces, comme elle brûlait autrefois les hérétiques. De là une saignée constante faite au corps social, qui n’est pas sans analogie avec celle que le fanatisme religieux fit subir à l’Espagne pendant tant d’années et qui contribua à mettre si bas la race espagnole. En comptant simplement les fils de pasteurs qui sont devenus des hommes distingués ou même de grands hommes, depuis Linné jusqu’à Wurtz et Emerson, on verra combien nous perdons au célibat de nos prêtres catholiques.

Du moment où la religion est aujourd’hui incapable d’arrêter la croissante infécondité, il reste comme moyens d’action la loi, les mœurs et l’éducation.

  1. Dr Lagneau, Remarques démographiques sur le célibat en France.