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dissolution des religions.

l’Amérique, l’Afrique, l’Australie ; un jour l’Asie débordera sur l’Europe et l’Amérique. Ce qui se passe aujourd’hui, cinquante ans après l’invention des chemins de fer, peut à peine nous donner l’idée du mélange et pour ainsi dire de la trituration des races les plus diverses qui aura lieu un jour sur le globe. Un tel mélange, en élevant à peine le niveau des races mal douées intellectuellement, pourra abaisser beaucoup celui des races mieux douées, si celles-ci restent dans une trop grande infériorité numérique.

On nous objectera, il est vrai, que les races supérieures peuvent demeurer isolées au milieu de la pullulation des autres branches humaines, dans une sorte d’aristocratie jalouse, servies et respectées par ceux qu’elles dominent de leur intelligence. C’est un des rêves de M. Renan, qui voyait par exemple dans les Chinois les esclaves futurs des Européens, esclaves doux, dociles, ayant juste la dose d’intelligence nécessaire pour être de merveilleuses machines industrielles. Par malheur, nous avons appris à nos dépens que les Chinois peuvent être aussi d’excellentes machines de guerre. En tous cas ils sont de très bons commerçants. Or ce qui constituera un jour l’aristocratie, dans la société industrielle dont nous nous rapprochons sans cesse, ce sera l’argent : dès aujourd’hui l’argent est la grande force et le vrai titre de noblesse. Pour thésauriser il n’est besoin que d’une certaine moyenne d’intelligence, à laquelle arriveront sans nul doute un grand nombre des peuples inférieurs de l’humanité : une fois riches, ils seront nos égaux ; s’ils sont plus riches, nos supérieurs et nos maîtres. Avec l’argent ils pourront acheter tous les droits, y compris même celui de se mêler à notre sang, d’épouser nos filles et de noyer notre race dans la leur. De quelque côté qu’on se tourne, un seul moyen se présente pour l’intelligence de garder la force, c’est de garder aussi le nombre : le génie même a besoin d’engendrer pour ne pas mourir, et, malgré le préjugé contraire, si nous devons être éternels, c’est encore plus par nos enfants que par nos « œuvres » toujours fragiles.

Les positivistes ont proposé de substituer aux religions prêtes à disparaître la religion de l’humanité ; il en est une autre plus accessible encore à toutes les intelligences, plus pratique et plus utile, qui a été l’une des premières religions humaines : je veux dire la religion de la famille, le culte de ce petit groupe d’êtres liés les uns aux autres par