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la religion et l’irréligion chez la femme.

gie, oui, j’aurais accepté la lutte, j’aurais entassé preuve sur preuve ; ayant la vérité et Dieu pour moi, comment ne l’aurais-je pas convaincu ? Mais je n’avais rien d’un docteur, et il en résultait que, pelotonnée dans mon ignorance, j’écoutais sans trouble toutes les argumentations ; même, plus elles étaient vives, serrées, plus je demeurais convaincue de la vérité de ma religion, qui restait debout en moi au milieu de tant d’attaques si soutenues et si fortes, triomphant sans avoir besoin de combattre.

« Bien inébranlable étais-je en effet, et cela aurait pu durer de la sorte fort longtemps, si mon contradicteur ne s’était pas rendu compte de la force de ma position et n’avait changé de tactique. Il s’agissait de me forcer à raisonner, à suivre les objections, à les comprendre malgré moi, à les repenser. Il me dit qu’il avait besoin, pour ses travaux personnels, que je lui résumasse tantôt par écrit, tantôt de vive voix, un certain nombre d’ouvrages sur la religion. Il me mit alors entre les mains la Vie de Jésus de M. Renan, le petit livre si savant et si consciencieux de M. Albert Réville sur l’Histoire du dogme de la divinité de Jésus-Christ, d’autres ouvrages encore, souvent pleins de recherches abstraites, où la sincérité de la pensée était évidente et se communiquait de l’auteur au lecteur, même quand celui-ci eût voulu chercher des faux-fuyants[1]. Ces livres, je ne pouvais refuser de les lire sans renoncer à mon plus cher désir, qui était d’aider mon mari dans ses travaux. Il y avait là un scrupule de conscience (que je ne pouvais d’ailleurs soumettre à mon confesseur, car je me trouvais alors à l’étranger). En outre ma foi, quoique profonde, avait toujours prétendu être large et éclairée ; ce n’était pas un bon moyen de faire accepter ma religion que de la montrer intolérante : je lus ! Avec M. Renan je ne pus point trop crier au scandale : c’était encore un fidèle de Jésus qui parlait de Jésus. Son livre, qui a séduit beaucoup de femmes autant qu’un roman, m’attrista sans me révolter. J’avais pour tâche de résumer par écrit tout cet ouvrage ; je dus me mettre ainsi à la place de l’auteur, entrer dans son rôle, regarder avec ses yeux,

  1. « Parmi les ouvrages de polémique sur le christianisme, j’en citerai un, peut-être un peu vieilli, mais précieux en ce qu’il résume avec assez d’impartialité la masse des objections séculaires et bon nombre d’objections modernes au christianisme, le livre de M. Patrice Larroque intitulé Examen critique des doctrines de la religion chrétienne. »