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la religion et l’irréligion chez la femme.

éprouvent à un si haut degré dans la pudeur et qu’elles ont pu en partie communiquer à l’homme. Les frissons et les craintes de la femme ont fait la main de l’homme moins dure ; sa pudeur s’est transformée chez lui en un certain respect, en un désir moins brutal et plus attendri : elle a civilisé l’amour. La pudeur est très analogue à cette crainte qui porte l’oiseau à fuir même les caresses, qui sont pour lui un froissement. Le regard même a quelque chose de dur et d’inquiétant comme la main ; n’est-il pas un prolongement du toucher ? Outre ces divers éléments, il y a dans la pudeur de la jeune fille ou de l’adolescent un sentiment plus élevé et plus proprement humain : la crainte de l’amour même, la crainte de ce quelque chose de nouveau et d’inconnu, la crainte de cet instinct si profond et si puissant qui s’éveille et parle en vous à un moment de votre existence après s’être tu jusqu’alors, qui entre brusquement en lutte avec toutes les autres forces de l’être, apporte la guerre en vous. L’adolescent, n’étant pas habitué à subir la domination de cet instinct, croit y sentir quelque chose de plus étranger et de plus mystérieux que dans tous les autres : c’est l’interrogation anxieuse de Chérubin[1].

En somme, le sentiment de la pudeur n’a pas son origine et son vrai point d’appui dans la religion ; il n’y est lié que très indirectement. Même au point de vue de la pudeur, l’éducation religieuse n’est pas sans reproche. Chez les protestants, la lecture de la Bible est-elle toujours une bonne école ? M. Bruston fait ressortir l’utilité de la lecture du Cantique des Cantiques, à une époque comme la nôtre, où les mariages se font souvent par intérêt plutôt que par inclination ! Nous croyons en effet la lecture du Cantique propre à développer les inclinations chez les jeunes filles, mais sera-ce bien l’inclination au mariage

  1. On considère d’habitude la pudeur comme constituée essentiellement par la honte ; mais la honte n’a dû être qu’un des éléments de sa formation. Cette honte s’explique très bien par le sentiment de souillure qu’apportent certaines fonctions, surtout chez la femme, dont les hébreux exigeaient la purification périodique. Le vêtement une fois admis dans les mœurs, d’abord sous forme de simple ceinture, a envahi peu à peu tout le corps (même le visage chez les Orientaux). Il a progressivement développé la pudeur : en effet la pudeur et le vêtement réagissent l’un sur l’autre. L’habitude d’être couvert éveille très rapidement la honte d’être découvert. De petites négresses recueillies par Livingstone reçurent des chemises : peu de jours après s’être habituées à ce vêtement nouveau qui leur cachait le haut du corps, si on les surprenait le matin dans leur chambre, elles se couvraient prestement la poitrine.