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la religion et l’irréligion chez la femme.

larmes : sa grâce est faite pour une part de cette divine légèreté. De plus elle a son nid, son foyer, toutes les préoccupations pratiques et tendres de la vie, qui l’absorbent plus entièrement que l’homme, qui la prennent plus au cœur. Le bonheur d’une femme peut être complet lorsqu’elle se croit belle et se sent aimée ; le bonheur d’un homme est chose beaucoup plus complexe et où entrent bien plus d’éléments intellectuels. La femme revit plus que l’homme dans sa génération : elle se sent, dès cette vie, immortelle dans les siens.

Parmi les sentiments très développés chez la femme, il y en a deux qui sont pour elle deux grands motifs de retenue : la pudeur, cette dignité de son sexe, et l’amour, qui est exclusif lorsqu’il est véritable. En dehors de ces deux puissantes causes, les motifs et mobiles religieux auraient toujours été peu de chose pour elle. Si la religion agit sur la femme, c’est en prenant pour leviers ces mêmes motifs : le plus sûr moyen d’être écouté de la femme, et presque le seul, ce sera toujours d’éveiller son amour ou de parler à sa pudeur, parce que se donner ou se refuser sont les deux plus grands actes qui dominent sa vie de femme. Aussi l’immoralité, chez elle, augmente-t-elle généralement en raison directe de la diminution de la pudeur. De là un nouveau et délicat problème : la pudeur, cette force et cette grâce tout ensemble, la pudeur, qui semble faite de mystère, n’est-elle point une vertu plutôt religieuse que morale ? ne risque-t-elle point, comme on l’a soutenu, de disparaître avec la religion, de s’affaiblir par une éducation de plus en plus scientifique et, en un certain sens, positive ? — Remarquons-le d’abord, si le point central de toute vertu chez la femme est la pudeur comme chez l’homme le courage, c’est une raison de plus pour éviter d’attacher la pudeur à la religion, pour ne pas laisser l’une s’altérer aux doutes qui nécessairement, dans notre société moderne, viendront tôt ou tard atteindre l’autre. Certes, la pudeur peut être une merveilleuse sauvegarde pour les croyances et même pour les croyances irrationnelles : elle empêche toujours de pousser le raisonnement, comme le désir, jusqu’au bout. Mais il y a une pudeur vraie et une fausse, une pudeur utile et une nuisible. La première, nous allons le voir, n’est réellement liée au sentiment religieux ni dans son origine, ni dans sa destinée.

D’abord, quelle est l’origine de la pudeur ? Il y a chez la jeune fille le sentiment vague qu’elle dispose d’un certain