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dissolution de la foi symbolique.

sur le même sillon : le branle d’un épi s’agitant au vent est pour l’homme du peuple la plus catégorique des affirmations ; faire vivre et en général faire, c’est prouver : l’action vaut un raisonnement. Le maître d’école démontre encore la puissance pratique de la science en façonnant les générations, en faisant des hommes. Il distribue à chacun la provision de savoir qu’il doit emporter à travers l’existence et qui fera sa force ; il donne le viatique à l’entrée de la vie comme le prêtre à l’entrée de la mort. C’est là pour l’instituteur sur le prêtre une grande supériorité aux yeux du paysan, de préparer à vivre plutôt qu’à mourir. Dans la vie comme dans la mort il y a un mystère, mais on est certain de pouvoir quelque chose sur le premier : le maître d’école détermine souvent l’avenir d’une manière visible ; or qui sait ce que peut le prêtre ? La croyance au pouvoir de ce dernier a diminué encore depuis que se sont transformées les idées sur l’expiation dans l’au-delà de la vie. Le prêtre tirait sa puissance des cérémonies, des sacrifices tantôt propitiatoires et tantôt expiatoires : la vertu des deux genres de sacrifices est aujourd’hui également mise en doute. On aime mieux savoir que prier, et le nom du prêtre perd par degrés son ascendant sur le peuple. Comme on raille assez souvent l’instituteur, on se moque aujourd’hui sans façon du curé de campagne, qu’onaimait tant à idéaliser au commencement de ce siècle. C’est là une réaction naturelle et dans une certaine mesure légitime : la perfection n’est point de ce monde, et ne saurait habiter ni l’église, ni l’école. Mais, quoi qu’on en dise, le rôle de ces deux hommes est considérable dans l’humanité, puisqu’ils sont les deux seuls intermédiaires entre la foule d’une part, et de l’autre la science ou la métaphysique. Nous avons vu combien il est à souhaiter que le prêtre, si ignorant aujourd’hui chez les nations catholiques, s’instruise, se crée à lui-même des raisons de subsister dans la société moderne : s’il reste trop en arrière du mouvement intellectuel, il disparaîtra, l’instituteur héritera de son influence. Après tout, il y a des apôtres de toute sorte, en blouse ou en redingote, comme sous l’élole ; il y en a dont le prosélytisme est fait de désintéressement mystique, d’autres d’un certain entendement pratique ; il y en a qui parcourent le monde, d’autres qui restent au coin du feu, et qui n’agissent pas moins pour cela. Ce qu’on peut affirmer, c’est que de tout temps les apôtres ont aimé à parler aux petits enfants encore plus qu’aux hommes. On peut remar-