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la religion et l’irréligion chez l’enfant.

et tomberait en poussière. L’un rejetterait ceci, l’autre cela ; tous les esprits entreraient en révolte ouverte, chacun courant de son côté, gaiement, à travers champs, comme des écoliers en débandade : par bonheur, il y a toujours un surveillant qui observe et menace, fait rentrer les brebis dans le bercail. Quelle prise a le raisonnement sur quelqu’un qui en a peur ? Comment verriez-vous quelque chose si on vous a habitué dès l’enfance à marcher les yeux fermés, sans regarder franchement devant vous ? La vérité devient pour vous aussi variable et instable que votre propre sensibilité : en une heure d’audace vous niez ; le lendemain vous affirmez plus que jamais, et cela se comprend, car on n’est pas forcé d’être toujours brave. La conscience morale se met d’ailleurs elle-même de la parue : elle est conservatrice, comme tous les gouvernements ; elle n’aime pas les changements et les révolutions. De bonne heure on lui a fait la leçon : elle s’inquiète dès que vous voulez mettre en question un des articles de la charte ; vous ne pouvez faire un pas en avant sans que des voix intérieures s’élèvent en vous et vous crient : prends garde. Habitué que vous êtes à entendre anathématiser ceux qui ne pensent pas comme vous, vous frémissez à la pensée que de tels anathèmes vont aussi retomber sur votre tête. Le prêtre a su mettre d’accord avec lui tous les sentiments de votre âme, crainte, respect, remords : il a fait même votre âme, il a façonné votre caractère et votre moralité, de telle sorte que, si vous mettez en question votre religion, tout se trouve mis pour vous en question.

L’affaissement de la pensée, l’engourdissement de la liberté, l’esprit de routine, de tradition aveugle, d’obéissance passive, en un mot tout ce qui est contraire à l’esprit même de la science moderne, voilà donc les résultats d’une éducation trop exclusivement cléricale. Ces dangers, surtout en France, sont sentis de plus en plus vivement, trop peut-être. Aussi va-t-on jusqu’à demander que l’éducation religieuse disparaisse, et sans retard, comme hostile à l’esprit de liberté et de progrès. Il y a vers l’éducation laïque un mouvement qu’on ne peut arrêter et dont il faudra un jour ou l’autre que les catholiques prennent leur parti. Toutefois, il y a une mesure à garder et des transitions nécessaires, cupprimor d’un seul coup le clergé, qui a été longtemps le grand éducateur national et l’est encore en partie, ne doit pas être le but des libres-penseurs ; cette suppression se produira toute seule, par voie d’extinction gra-