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la religion et l’irréligion chez l’enfant.

le métaphysicien prétend agir sur les esprits par la conviction, le prêtre par l’inculcation ; l’un enseigne, l’autre révèle ; l’un cherche à diriger le raisonnement, l’autre à le supprimer, tout au moins à le détourner des dogmes primitifs et fondamentaux ; l’un éveille l’intelligence, l’autre tend à l’endormir plus ou moins. Comment la révélation ne s’opposerait-elle pas à la spontanéité et à la liberté de l’esprit ? Quand Dieu a parlé, l’homme doit se taire, à plus forte raison l’enfant. Aussi les erreurs, souvent inoffensives si c’est un philosophe qui les enseigne, deviennent graves et dangereuses si c’est un prêtre, parlant au nom de Dieu, qui les enfonce dans l’esprit. Avec le premier, le remède est toujours à côté du mal : ce qu’un raisonnement plus ou moins bon a fait admettre, un autre meilleur peut le faire rejeter ; vous avez entre les mains les poids et les mesures. Ce n’est pas toujours facile de démontrer et d’enseigner l’erreur par raisons et raisonnements : essayer de raisonner un préjugé, c’est un excellent moyen d’en faire à la fin éclater la fausseté. C’est toujours quand l’humanité a voulu se prouver à elle-même ses croyances qu’elle a commencé à les dissoudre : qui veut contrôler un dogme est bien près de le contredire. Aussi le prêtre, pour qui la contradiction est un manque de foi, se voit-il toujours obligé par la force même des choses à éviter le contrôle, à interdire un certain nombre de questions, à se retrancher dans le mystère. Quand le prêtre a fait entrer la foi dans le cerveau, il le ferme. Le doute et l’investigation, qui pour le philosophe sont un devoir, ne sont aux yeux du prêtre qu’une marque de défiance et de soupçon, un péché, une impiété ; il faut se frapper la poitrine quand on a osé penser par soi-même. Dieu est juge et partie tout ensemble : au moment où vous cherchez à vous convaincre de son existence, il vous commande de l’affirmer. Le croyant qui hésite devant le dogme est un peu comme le mouton de la fable, qui veut raisonner avec le loup et lui prouver que l’eau est claire : il le prouve en effet, seulement il est mangé ; il eût aussi bien fait de se taire et de se résigner. Aussi, rien de plus difficile que de secouer la foi quand elle s’est établie on vous dès l’enfance par la parole du prêtre, par l’habitude, par l’exemple, par la crainte. La crainte, voilà un bon gardien de la religion positive et de l’éducation religieuse, un gardien toujours en éveil et en alarme ; sans elle ce corps de croyances qu’on appelle le dogme se fragmenterait bientôt