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l’irréligion chez les peuples. — la france.

quelques années, que d’avoir dormi pendant des siècles ?

Rien n’est éternel. Lorsqu’une nation a brillé pendant un certain nombre d’années ou de siècles, lorsqu’elle a produit de grands artistes ou de grands savants, il vient nécessairement une période où elle s’arrête épuisée. Les religions aussi ont leur naissance, leur floraison, leur mort. Que faut-il accuser ? — Les lois mêmes de la vie, qui ne permettent pas que les plantes fleurissent éternellement et qui font qu’en général, dans tous les règnes de la nature, il n’y a rien de si fragile que ce qui ressemble à une fleur. Mais, si toutes les choses humaines n’ont qu’un temps, faire de l’éclosion de l’intelligence, faire de l’art et de la science le but suprême de la vie, c’est précisément poursuivre ce qu’il y a de moins périssable : l’art, la science, les résultats derniers auxquels aboutit l’intelligence humaine, ne passent pas ; l’homme seul, l’individu disparaît, et nous revenons à l’antique parole : l’art est long, la vie est courte. Quant à la vraie « justice, » elle est à coup sûr éternelle, mais, si on entend par là « la loi dure de Jéhovah », le culte de cette loi a toujours correspondu aux époques inférieures de l’histoire, et précisément aux époques d’injustice et de barbarie. C’est pour cela que ce culte coïncide avec les teinps où les peuples sont le plus solides, le plus difficiles à entamer : leurs mœurs sont farouches, leur vie est au fond tout le contraire de la justice idéale ; leur foi se ressent de ces mœurs, elle est violente et sauvage comme elles, elle les porte à l’intolérance, au fanatisme, aux massacres ; mais tous ces éléments d’injustice n’en constituent pas moins, chez le peuple où ils se trouvent réunis, des chances de victoire sur les autres peuples. Plus tard, quand les mœurs se policent, que la foi diminue, que l’art et la science naissent, la nation tout à l’heure si forte s’affaiblit souvent dans la proportion même où elle s’ennoblit : plus un organisme est supérieur, plus il est délicat, plus il est facile à briser. Le renoncement à soi, la soumission des faibles aux forts et des plus forts à un sacerdoce tout-puissant, cette hiérarchie que la Judée, l’Inde, le moyen âge nous ont offerte à un suprême degré, tout cela donnait autrefois à un peuple sur les autres la supériorité du roc sur la plante, du chêne sur la sensitive, du bœuf ou de l’éléphant s’ir l’homme ; mais est-ce là l’état idéal d’une société, est-ce là un but que nous puissions proposer à nos efforts ? L’art et la science, pour arriver à leur plus haut déve-