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le protestantisme est-il une transition nécessaire ?

culine vivent à peu près en dehors de la religion traditionnelle. À la campagne comme à la ville, l’église renferme un homme pour dix femmes, quelquefois un pour cent, quelquefois pas un. C’est une rareté, dans le plus grand nombre des déparlements, qu’un homme accomplissant les « devoirs religieux. » L’ouvrier des grandes villes est l’ennemi ouvert de la religion, le paysan est indifférent. Si le paysan garde pour la forme un certain respect du culte, c’est qu’il est forcé de compter avec le curé : il a avec lui des relations fréquentes, il le craint ou l’estime généralement assez pour ne sourire de lui que par derrière. On ne saurait arrêter dans notre pays le mouvement produit par la Révolution ; il suffira à engendrer tôt ou tard l’entière liberté civile, politique et religieuse ; aujourd’hui même, dans le domaine politique, ce n’est pas par le manque de liberté que nous péchons, au contraire. Il est donc bien inutile, pour les Français, d’embrasser le protestantisme sous le prétexte qu’il favorise l’instruction, la diffusion des idées modernes, la liberté civile et politique.

Reste la considération de la moralité publique en France. Mais il est impossible de démontrer que la moralité des peuples protestants soit supérieure à celle des autres ; peut-être même, sur un certain nombre de points, les statistiques tendraient à prouver le contraire, — si on pouvait induire la moralité d’une statistique. L’ivrognerie, par exemple, est un fléau beaucoup moindre chez les peuples catholiques, qui habitent des climats plus tempérés où l’alcool est moins tentant. Les naissances illégitimes sont plus fréquentes en Allemagne qu’en France, peut-être à cause des lois qui règlent le mariage. La moyenne des délits et des crimes n’offre pas, d’un pays à l’autre, des variations très considérables ; ou bien ces variations s’expliquent par des raisons de climat, de race, d’agglomération plus ou moins grande, non de religion. Aujourd’hui, grâce à la facilité croissante des communications, le niveau des ices tend à s’égaliser partout, comme celui des mers. Ils se propagent à la manière des maladies contagieuses ; tous les individus qui offrent un milieu favorable à leur développement sont contaminés tour à tour, à quelque race et à quelque religion qu’ils appartiennent. Les effets de telle religion sur la moralité de tel peuple ne sont certes pas négligeables, mais ils sont tout à fait relatifs au caractère de ce peuple et