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le protestantisme est-il une transition nécessaire ?

choses et de personnes gagnent ainsi à être vues de loin ! Quand on a un idéal en tête, il est bon quelquefois de ne pas l’approcher de trop près pour lui garder tout son culte. En Angleterre plus d’un esprit, s’indignant de la sécheresse de cœur et du fanatisme aveugle des protestants trop orthodoxes, jette un regard d’envie sur l’autre côté du détroit, où semble régner une religion plus amie de l’art, plus esthétique et plus mystique tout ensemble, capable de mieux satisfaire certains penchants humains. Parmi ces esprits assez favorables à un catholicisme bien entendu, nous citerons M. Matthew Arnold, nous rappellerons le nom du cardinal Newman ; on pourrait compter de ce nombre la reine même d’Angleterre. Chez nous, comme on devait s’y attendre, un effet contraire se produit. Fatigués de l’Église catholique et de son intolérance, nous voudrions échapper à sa domination : à côté des inconvénients du catholicisme qui nous sautent aux yeux, ceux du protestantisme nous paraissent peu de chose. Aussi une même idée s’est-elle présentée simultanément à beaucoup d’esprits distingués de notre époque et de notre pays : pourquoi la France resterait-elle catholique, au moins de nom ? pourquoi n’adopterait-elle pas la religion du peuple robuste qui l’a récemment vaincue, de l’Allemagne, la religion de l’Angleterre, des États-Unis, de toutes les nations jeunes, fortes et actives ? Pourquoi ne pas recommencer l’œuvre interrompue jadis par la Saint-Barthélemy et l’édit de Nantes ? Même en supposant qu’on ne parvînt pas à convertir la masse du peuple français, il suffirait, suivant les partisans du protestantisme, d’entraîner vers la religion nouvelle l’élite de la population pour modifier d’une manière très sensible la marche générale de notre gouvernement, notre esprit national, notre code même. Les lois réglant les rapports de l’Église et de l’État ne tarderaient pas non plus à être corrigées : on en viendrait à leur faire protéger le développement de la religion protestante comme elles protègent en ce moment de mille façons le catholicisme vieilli. Enfin, le protestantisme finirait par être déclaré la religion nationale de la France, en d’autres termes celle vers laquelle elle doit tendre, celle qui constitue son véritable idéal et son seul avenir possible, celle qui est pour les nations latines l’unique moyen d’échapper à la mort et de se surivre en quelque sorte à elles-mêmes. Ajoutons que, d’après les auteurs de cette hypothèse, la religion protestante mise en