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dissolution des religions.

rence par exemple entre Londres et Paris ! Les églises, temples et synagogues de Paris ne pourraient contenir le dixième de la population, et comme ils sont à moitié vides à l’heure des offices, un statisticien peut en conclure avec quelque raison que le vingtième seulement de la population « pratique ». Tandis que Paris ne compte que cent soixante-neuf lieux de culte, Londres en possédait en 1882 douze cent trente et un, — sans compter les assemblées religieuses qui se tiennent dans les parcs, sur les places publiques, jusque sous les viaducs de chemin de fer.

Nous objectera-t-on, en les mettant sur le compte de l’irréligion, les crimes de la Commune de Paris ou ceux de la Révolution française ? On pourrait avec plus de vérité rendre la religion responsable des massacres de la Saint-Barthélemy et des Dragonnades, car, dans les guerres des Huguenots, des Vaudois, des Albigeois, la religion était directement en question, tandis que la Commune était une guerre toute sociale : la religion n’y a été mêlée que très indirectement. Cette guerre a son analogue dans les troubles suscités autrefois à Rome par les lois agraires, dans les grandes grèves contemporaines si souvent accompagnées de troubles sanglants, enfin dans toutes les revendications brutales de l’ouvrier ou du paysan contre le possesseur de la terre ou du capital. Remarquons d’ailleurs que, dans toutes ces luttes, le parti le plus fort — qui représentait celui de la société et, prétend-on, celui de la religion — a commis dans la répression des violences comparables à celles des révoltés, parfois moins excusables encore.

Ce qui démoralise les peuples, ce n’est pas tant l’affaiblissement de la religion que le luxe et la paresse des uns, la misère révoltée des autres. Dans la société, la démoralisation vient à la fois du plus haut et du plus bas. Il y a, en effet, deux sortes de révoltés contre la loi du travail : le mauvais ouvrier qui la maudit tout en y obéissant, le noble oisif ou l’enrichi qui la viole. Les classes les plus riches de notre société sont souvent celles dont la vie comporte le minimum de dévouement, d’actions désintéressées et de réelle élévation morale. Pour une mondaine, par exemple, les obligations de la vie se réduisent trop souvent à des niaiseries ; elle ignore ce que c’est que peiner. Un enfant ou deux (dépasser le nombre trois, c’est le comble de l’immoralité, disait l’une d’elles), une nourrice à promener, un mari auquel il faut être fidèle,