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dissolution des religions.

gieux, comme l’Angleterre, les coupables ne sont pas moins nombreux, mais ils sont plus croyants ; la plupart, nous dit Mayhew, font profession de croire à la Bible. En France, où l’irréligion est si fréquente, il est naturel qu’elle soit fréquente aussi chez les délinquants, mais elle est loin d’être la règle ; elle se rencontre surtout chez les chefs de bande, les organisateurs du crime, tous ceux enfin qui sortent du commun, comme Mandrin au siècle dernier, La Pommerais, Lacenaire. Si les criminalistes se voient forcés d’accorder un véritable génie antisocial à quelques criminels, il n’est pas étonnant qu’on rencontre chez plusieurs d’entre eux une instruction et un talent suffisants pour se débarrasser des croyances superstitieuses de la foule, partagés par leurs compagnons de crime. Ni ce talent ni cette instruction n’ont pu arrêter leurs tendances mauvaises, mais ils ne les ont certes pas produites. Les criminalistes citent nombre de faits prouvant que la religiosité la plus minutieuse et la plus sincère peut s’allier avec les plus grands crimes. Despine raconte que Bourse venait à peine d’accomplir un vol et un homicide qu’il allait s’agenouiller à l’office religieux. La fille G., en jetant la mèche incendiaire sur la maison de son amant, s’écriait : « Que Dieu et la bienheureuse Vierge fassent le reste ! » La femme de Parency, au moment où son mari tuait un vieillard pour le voler, priait Dieu que tout allât bien. On sait combien était religieuse la marquise de Brinvilliers, qui put d’autant plus facilement être condamnée qu’elle avait écrit de ses mains une confession secrète de ses péchés, dans laquelle elle mentionnait, — en même temps que les parricides, fratricides, incendies, empoisonnements sans nombre, — le compte de ses confessions omises ou peu soigneuses[1]. La reli-

  1. Il ne faut pas croire que la classe même des prostituées, si voisine de celle des délinquants, soit irréligieuse dans le fond. On cite nombre de prostituées qui se sont cotisées pour faire transporter, hors d’une maison mal famée où le prêtre ne pouvait pénétrer, une de leurs compagnes sur le point de mourir ; d’autres se sont cotisées afin de faire dire un grand nombre de messes pour l’âme d’une compagne défunte. En tout cas elles restent toutes superstitieuses, et la religion s’éparpille pour elles en croyances bizarres et absurdes.

    En Italie, les criminels sont le plus habituellement religieux. Tout récemment, la famille de bouchers Tozzi, après avoir tué, dépecé un jeune homme, et vendu dans leur boutique son sang mêlé à du sang de mouton, n’en va pas moins faire ses dévotions à la Madone et baiser la statue de la Vierge. La bande Caruso, nous dit M. Lombroso, plaçait dans les bois