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la religion et la moralité populaire.

l’iniquité qui fait la propriété privée, » dit saint Clément. « Le riche est un brigand, » dit saint Chrysostome. Enfin Bossuet lui-même s’écrie dans le sermon sur les dispositions relatives aux nécessités de la vie : « Les murmures des pauvres sont justes : pourquoi cette inégalité des conditions ? » Et dans le sermon sur l’éminente dignité des pauvres : « La politique de Jésus est directement opposée à celle du siècle. » Enfin Pascal, résumant dans une image toutes ces idées socialistes qui avaient fait le fond de la prédication chrétienne : « Ce chien est à moi, disaient ces pauvres enfants ; c’est là ma place au soleil. Voilà le commencement et l’image de l’usurpation de toute la terre. » Ces pauvres enfants qui sont les hommes ne se sont pas toujours résignés à cette usurpation ; de là, dès le moyen âge, des soulèvements et des massacres : les Pastoureaux et les Jacques en France, Watt Tyler en Angleterre, les anabaptistes et Jean de Leyde en Allemagne. Mais, ces grandes explosions apaisées, le prêtre chrétien avait alors pour dompter les foules la foi robuste qu’il pouvait leur inculquer dans les compensations célestes ; toutes les béatitudes se résument en celle-ci : heureux les pauvres, car ils verront Dieu. De nos jours, par le progrès des sciences naturelles, la certitude des compensations célestes se trouve nécessairement altérée ; le chrétien même, moins sur du paradis, aspire à voir se réaliser dès cette vie la justice qu’on lui a représentée sous les traits de la justice céleste. Ce qui reste de plus durable dans le christianisme, c’est donc moins le frein qu’il savait imposer aux foules que le mépris de l’ordre établi qu’il avait semé en elles. La religion est oblirrée d’appeler aujourd’hui la science sociale à son aide pour lutter contre le socialisme. Le vrai principe de la propriété, comme de l’autorité sociale, ne peut pas être religieux : il est dans le sentiment même du droit de tous et dans la connaissance de plus en plus scientifiaue des conditions de la vie civile ou politique.

— Mais la moralité même des peuples, n’est-ce pas la religion qui en est la sauvegarde ? — Il est vrai qu’on se représente d’habitude l’immoralité et le crime chez le peuple comme liés à l’irréligion et produits par elle ; il n’est pourtant rien de plus contestable, les criminalistes l’ont bien montré. À considérer la masse des délinquants de tous les pays, l’irréligion n’est chez eux que l’exception, et une exception relativement rare. Dans les pays très reli-