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dissolution des religions.

« Le christianisme, a dit Guizot, est nécessaire pour les peuples. En effet, il est une école de respect. » — Sans doute ; moins pourtant que les religions hindoues, qui ont fait respecter à l’humanité jusqu’à la séparation absolue des castes, si contraire à tous les sentiments naturels et au bon fonctionnement des lois sociales. Assurément une société ne peut subsister si on n’y respecte pas ce qui est respectable, et le respect est ainsi un élément même de la vie publique ; c’est ce que nous sommes trop portés à oublier en France ; mais d’autre part une société ne peut progresser si on y respecte ce qui n’est pas respectable, et le progrès est une condition de vie pour les sociétés. Dis-moi ce que tu respectes et je te dirai ce que tu es. Le progrès par lequel le respect de l’homme s’applique à des objets de plus en plus hauts est le symbole même de tous les autres progrès accomplis par l’esprit humain.

— Sans la religion, dit encore l’école de Guizot, la question sociale emportera les peuples : c’est l’Église qui maintient la propriété. — S’il y a une question sociale, ne cherchons pas à la dissimuler, mais travaillons sincèrement et activement à la résoudre. Qui trompe-t-on ici ? Dieu n’est-il plus qu’un moyen pour sauver le capitaliste ? Le problème social, du reste, ne se pose pas avec moins de force aujourd’hui devant les religions que devant la librepensée. Le christianisme, qui renferme implicitement dans ses principes le communisme, a répandu lui-même chez le peuple des idées qui ne peuvent pas ne pas germer dans la grande fermentation de notre époque. C’est ce que confesse un défenseur du christianisme libéral, M. de Laveleye. On sait que tout était commun entre les premiers chrétiens, et le communisne était la conséquence immédiate du baptême[1]. « Tout est commun parmi nous excepté les femmes, répètent Tertullien et saint Justin ; nous apportons et nous partageons touf[2]. » On sait avec quelle véhémence les Pères de l’Église ont attaqué la propriété. « La terre, dit saint Ambroise, a été donnée en commun aux riches et aux pauvres. Pourquoi, riches, vous en croyez-vous à vous seuls la propriété ? » — « La nature a créé le droit commun. L’usurpation a fait le droit privé. » — « L’opulence est toujours le produit d’un vol, » dit saint Jérôme, « Le riche est un larron, dit saint Basile ; c’est

  1. Act, 44, 45 ; IV, 32, sqq.
  2. Tertul. Apolog. c. 39, Justin., Apolog. I, 14.