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CHAPITRE IV
LA RELIGION ET L’IRRÉLIGION CHEZ LE PEUPLE




I. — Le sentiment religieux est-il inné et impérissable dans l’humanité ? — Confusion fréquente du sentiment religieux avec le sentiment philosophique et moral. — Renan. — Max Müller. — Différence entre les évolutions de la croyance dans l’individu et l’évolution de la croyance chez les peuples. — La disparition de la foi laissera-t-elle un vide ?
II. — La dissolution de la religion entraînera-t-elle celle de la moralité populaire ? — La religion est-elle la seule sauvegarde de l’autorité sociale et de la moralité publique ? — Christianisme et socialisme. — Rapport de l’irréligion et de l’immoralité d’après les statistiques.

III. — Le protestantisme est-il une transition nécessaire pour les peuples entre la religion et la libre pensée ? — Projets de « protestantiser » la France, Michelet, Quinet, de Laveleye, Renouvier et Pillon. Supériorité intellectuelle, morale et politique du protestantisme. — Caractère utopique du projet. — Inutilité morale de la substitution d’une religion à l’autre ? — La religion est-elle, pour un peuple, une condition sine quâ non de supériorité dans la lutte pour l’existence ? Objections faites à la France et à la Révolution française par Matthew Arnold ; comparaison de la Grèce et de la Judée, de la France et des nations protestantes. — Examen critique de cette théorie. — La libre pensée, la science et l’art ne peuvent-ils trouver leur règle en eux-mêmes ?


Nous avons vu la dissolution qui menace, au sein des sociétés modernes, la dogmatique religieuse et même la morale religieuse. Des problèmes sociaux plus ou moins inquiétants se posent par cela même. Y a-t-il vraiment un péril dans l’affaiblissement graduel de ce qui a longtemps paru servir de base aux vertus sociales ou domestiques ? Certains esprits se plaisent à appliquer une sorte d’ostracisme aux neuf dixièmes du genre humain. On déclare d’avance le peuple, la femme et l’enfant incapables de s’élever à une conception où l’on reconnaît qu’un très grand nombre d’hommes sont déjà parvenus. Il faut, dit-on, un jouet pour l’imagination des masses populaires, comme pour celle de la femme et de l’enfant ; seulement on aura soin de choisir ce jouet le moins dangereux possible, de