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dissolution des religions.

dit-il dans ses Pensées mais on s’appuie sur le sable, et la terre fondra, et on tombera en regardant le ciel. » Mais, pourrait-on répondre, le ciel dont veut ici parler Pascal, le ciel que nous portons en notre âme n’est-il pas tout différent de celui que nous apercevons sur nos têtes ? Ne faut-il pas dire ici que voir c’est toucher et posséder ; que la vue du but moral rend possible et commence la marche vers ce but ; que le point d’appui qu’on trouve dans la bonne volonté, — le plus invincible de tous les vouloirs, — ne peut fondre ; qu’on ne peut tomber en allant toujours au bien, et qu’en ce sens, regarder le ciel, c’est déjà y monter ?

Reste un dernier aspect sous lequel on peut considérer la prière : elle peut être regardée comme une élévation vers l’être infini, une communion avec l’univers ou avec Dieu[1]. On a de tout temps glorifié la prière comme un moyen de faire ainsi monter l’être tout entier à un ton qu’il ne peut atteindre en temps normal : le plus précieux de nous-mêmes, a dit récemment Amiel, ne trouve issue et n’arrive en partie à notre conscience que dans la prière.

Il faut se défier ici de bien des illusions et distinguer soigneusement deux choses très diverses : l’extase religieuse et la méditation philosophique. Une des conséquences de notre connaissance plus approfondie du système nerveux, c’est un dédain croissant de l’ » extase » et de tous ces états d’ivresse nerveuse ou même intellectuelle qui apparaissaient autrefois à la foule, parfois aux philosophes, comme au-dessus de la condition humaine et vraiment divins. L’extase dite religieuse peut être un phénomène si complètement physique qu’il suffit de l’application d’un peu d’huile volatile de laurier-cerise pour la déterminer chez certains tempéraments, pour emplir de béatitude extatique, faire prier, pleurer, se prosterner une hystérique, courtisane endurcie d’origine juive ; pour lui donner même des visions déterminées, comme celle de la vierge aux cheveux blonds et en robe bleue avec des étoiles d’or[2]. L’ivresse des Dionysiaques en Grèce, comme celle des has-

  1. « Ô Dieu, disait Diderot à la fin de son Interprétation de la nature, je ne sais si tu es, mais je penserai comme si tu voyais dans mon âme, j’agirai comme si j’étais devant toi… Je ne te demande rien dans ce monde, car le cours des choses est nécessité par lui-même si tu n’es pas, ou par ton décret si tu es. »
  2. Rapport de MM. Bourru et Burot au Congrès scientifique de Grenoble, 18 août 1885.