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dissolution de la morale religieuse. — prière.

rir une réelle et la perte de ses illusions deviendra un excitant pour sa volonté. Il est toujours dangereux de croire à un pouvoir qu’on n’a pas, car il vous empêche, en une certaine mesure, de connaître et d’exercer ceux qu’on possède. Les hommes qui autrefois, du temps des monarchies absolues, approchaient de l’oreille des princes, possédaient réellement une puissance analogue à celle que s’imaginent encore avoir bien des croyants agenouillés dans les temples ; ce pouvoir sur les rois, ils l’ont perdu par suite de révolutions purement terrestres : ont-ils été par là diminués dans leur être moral ? Non, un homme est moralement plus grand comme citoyen que comme courtisan ; on est plus grand par ce qu’on fait ou tente soi-même que par ce qu’on cherche à obtenir d’un maître.

L’individu pourra-t-il jamais se passer de la prière conçue comme une communication constante avec Dieu, comme une confession journalière en lui et devant lui ? — Il n’y renoncera probablement que s’il devient capable de s’en passer. Tous les arguments d’utilité pratique qu’on fait valoir en faveur de la communication directe avec l’idéal vivant, on les a fait valoir aussi en faveur de la confession catholique devant le prêtre réalisant l’idéal moral, lui donnant une oreille et une voix. Cependant les protestants, en supprimant la confession, ont plutôt développé chez beaucoup l’austérité morale : la moralité des peuples protestants, défendue seulement en eux par la conscience, n’est pas inférieure à celle des nations catholiques[1]. Est-il plus nécessaire, pour scruter ses fautes et s’en guérir, de s’agenouiller devant Dieu personnifié et anthropomorphisé que devant le confessionnal, sous le pilier de l’église ? L’expérience seule pourra répondre, et cette expérience, nombre d’hommes semblent l’avoir déjà faite avec succès : l’examen de conscience philosophique leur suffit.

Enfin on a dit que la prière, même conçue comme ne produisant aucun effet objectif, s’exauçait pourtant elle-même en réconfortant l’âme ; on a tenté de la justifier ainsi par des raisons purement subjectives. Mais la prière risque précisément de perdre le pouvoir pratique qu’elle a sur l’âme quand on ne croit plus à son efficacité comme demande Si personne ne nous entend, qui continuera de demander, uniquement pour se soulager ? Si l’orateur est

  1. Voir plus loin, ch. IV.