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dissolution des religions.

scientifique et philosophique ; il le complète, ou plutôt il lui est au fond identique. Nous avons dit que la religion est de la science qui commence, de la science encore inconsciente et diffuse ; de même la science est de la religion qui retourne à la réalité, qui reprend sa direction normale, qui se retrouve pour ainsi dire. La science dit aux êtres : pénétrez-vous les uns les autres ; la religion dit aux êtres : unissez-vous les uns aux autres ; ces deux préceptes n’en font qu’un.

En somme, il tend à se faire une substitution dans nos affections. Nous aimerons Dieu dans l’homme, le futur dans le présent, l’idéal dans le réel. L’homme de l’évolution est vraiment l’Homme-Dieu du christianisme. Et alors cet amour de l’idéal, concilié avec celui de l’humanité, au lieu d’être une contemplation vaine et une extase, deviendra un ressort d’action. Nous aimerons d’autant plus Dieu que nous le ferons pour ainsi dire. S’il y au fond du cœur de l’homme quelque instinct mystique persistant, il sera employé comme facteur important dans l’évolution même : épris de nos idées, plus nous les adorerons, plus nous les réaliserons. La religion, se transformant en ce qu’il y a de plus pur au monde, l’amour de l’idéal, deviendra en même temps ce qu’il y a de plus réel et en apparence de plus terre à terre, le travail.


Le complément naturel et pratique du mysticisme est l’ascétisme : c’est là encore un élément de la morale religieuse qui va diminuant de plus en plus dans l’esprit moderne.

Il y a deux sortes d’austérités, l’une d’origine toute mystique, méprisant l’art, la beauté, la science ; l’autre qui a son principe dans un certain stoïcisme moral, dans le simple respect de soi-même. Celle-ci n’a rien d’ascétique, elle est faite en majeure partie de l’amour même pour la science et pour l’art, mais c’est l’art le plus haut qu’elle aime, et c’est la science pour la science qu’elle poursuit. L’excès d’austérité, auquel aboutissent si souvent les religions, est à la vertu simple ce que l’avarice est à l’économie. L’austérité ne constitue pas par elle-même un mérite et une supériorité. La vie peut même être plus douce, plus sociable, meilleure sous beaucoup de rapports chez un peuple aux mœurs libres, comme étaient les Grecs, que chez celui qui prend l’existence durement et sèchement, avec la bru-