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dissolution de la morale religieuse. — mysticisme.

Le but du progrès, dans les sociétés modernes, est de ramener la paix au dedans comme au dehors, de supprimer du même coup le mysticisme, de concentrer dans l’univers réel, présent ou à venir, toutes nos affections, d’unir les cœurs en un si étroit faisceau qu’ils se suffisent à eux-mêmes et que le monde humain, agrandi par l’amour, ramène à soi tous les sentiments. Tout d’abord l’amour de la famille, qui existait à peine dans les temps antiques et qui, au moyen âge, se trouvait à peu près absorbé par les idées d’autorité et de subordination, n’a guère pris que de nos jours un rôle véritable dans la vie humaine. C’est seulement depuis le dix-huitième siècle et ses théories égalitaires que le père de famille, surtout en France, a cessé de se considérer comme une sorte de souverain irresponsable, qu’il tend à traiter la femme en égale et à n’exercer sur les enfants que le minimum d’autorité possible. Lorsque la femme recevra une instruction à peu près équivalente à celle de l’homme, l’égalité morale entre elle et l’homme sera consacrée, et comme l’amour est toujours plus partagé, plus complet et plus durable entre des êtres qui se considèrent comme moralement égaux, il s’ensuit que l’amour au sein de la famille ira se développant de plus en plus, attirant à soi la plus grande partie des désirs et des aspirations de l’individu. Par l’opposition même de la religion, qui croyait le combattre en le restreignant, l’amour de la femme a atteint peu à peu une intensité qu’il n’avait jamais eue dans l’antiquité : il suffit de lire nos poètes pour s’en convaincre. Il grandira encore par l’agrandissement intellectuel de la femme, qui permettra aux époux une plus étroite union, une plus complète pénétration mutuelle. Enfin l’association de l’homme et de la femme, pouvant devenir ainsi une sorte d’association intellectuelle et de collaboration, aura pour résultat une fécondité d’un nouveau genre ; l’amour n’agira plus seulement sur l’intelligence comme le plus puissant des excitants, il y ajoutera aussi des éléments inconnus jusqu’alors. On ne sait pas quelles œuvres peut arriver à produire le travail combiné de l’homme et de la femme, lorsqu’ils ont l’un et l’autre un fonds d’éducation à peu près égal. J’ai eu sous les yeux des exemples de cette fécondité intellectuelle. En notre siècle, les hommes et les femmes de talent tendent déjà à se rapprocher : je pourrais citer les noms de Michelet et de Mme Michelet, de John Stuart Mill et de sa femme, de Lewes et de George Elliot, d’autres