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dissolution de la morale religieuse. — la crainte.

caractère d’universalité : si c’était une loi d’amour, on ne pourrait pas l’imposer à tous les êtres raisonnables. Je puis exiger que vous me respectiez, non que vous m’aimiez. — Dans la sphère sociale, Kant a raison ; la loi ne peut ordonner d’aimer autrui, mais seulement de respecter le droit. En est-il de même dans l’ordre moral, et les deux grandes religions universalistes, le bouddhisme et le christianisme, n’ont-elles pas eu raison de placer dans l’amour le principe supérieur de l’éthique ? Le respect n’est que le commencement de la moralité idéale ; dans le respect, l’âme se sent restreinte, contenue, gênée. Qu’est-ce que le respect, en définitive ? On pourrait le définir : le rapport d’une possibilité de violation avec le droit d’inviolabilité. Or il est un autre sentiment qui supprime même la possibilité de la violation, qui, par conséquent, est plus pur encore que le respect, c’est l’amour : le christianisme l’a compris. Qu’on le remarque d’ailleurs, le respect est nécessairement impliqué dans l’amour bien entendu et moral ; l’amour est supérieur au respect non parce qu’il le supprime, mais parce qu’il le complète. L’amour vrai ne peut pas ne pas se donner à lui-même la forme du respect : mais cette idée de respect, si on la prend seule, reste une forme vide et sans contenu : on ne la remplit qu’avec de l’amour. Ce qu’on respecte dans la dignité d’autrui, n’est-ce pas une puissance individuelle et encore formée, une sorte d’atome moral ? Aussi peut-on concevoir un respect froid et dur, dont l’idée n’est pas dégagée de tout élément mécanique. Ce qu’on aime, au contraire, dans la dignité d’autrui, c’est ce par quoi elle n’est exclusive de rien, ce par quoi elle vous appelle et vous embrasse ; pourrait-on concevoir comme froid le véritable amour ? Le respect est une sorte d’arrêt, l’amour est un élan. Le respect est l’acte par lequel la volonté mesure la volonté ; l’amour, lui, ne mesure point, il ne compte point, il n’hésite point ; il se donne tout entier.

Nous ne reprocherons donc pas au christianisme d’avoir vu dans l’amour le principe même de tout rapport entre les êtres raisonnables, de toute loi morale et de toute justice. « Celui qui aime les autres, dit Paul avec raison, accomplit la loi. En effet, les commandements : Tu ne commettras point d’adultère, tu ne tueras point, tu ne convoiteras point, et ceux qu’il peut encore y avoir, se résument dans cette parole : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Le défaut du christianisme, — défaut