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dissolution de la foi symbolique.

morale. De nos jours, l’homme ne veut plus croire simplement ce qu’on lui dit de croire, mais ce qu’il se commande à lui-même de croire : il pense que le danger de cette liberté n’est qu’apparent, que, dans le monde intellectuel comme dans le monde du droit, de la liberté même naît la plus respectable autorité. La révolution qui tend ainsi à remplacer la foi religieuse fondée sur l’autorité des textes ou des symboles par la foi morale fondée sur la conscience personnelle rappelle la révolution accomplie, il y a trois siècles, par Descartes, qui substitua dans la philosophie l’évidence et le raisonnement à l’autorité. L’humanité veut de plus en plus raisonner ses croyances, voir par ses propres yeux ; la vérité cesse d’être exclusivement renfermée dans des temples, elle s’adresse à tous, elle a pour tous des enseignements et, en instruisant, elle permet d’agir. Dans le culte de la vérité scientifique chacun, comme aux premiers temps du christianisme, peut officier tour à tour ; il n’y a pas, dans le sanctuaire, de place réservée ni de dieu jaloux, ou plutôt les temples du vrai sont ceux que chacun lui élève dans son propre cœur. Ces temples-là ne sont pas plus chrétiens qu’hébraïques ou que bouddhistes. L’absorption de la religion dans la morale, c’est la dissolution de toute religion positive et déterminée, de toute « symbolique » traditionnelle et de toute « dogmatique. » La foi, disait profondément Héraclite, est une « maladie sacrée », ἱερὰ νόσος ; pour nous autres modernes, il n’est plus de maladie sacrée, il n’en est plus dont on ne veuille se délivrer et guérir.