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dissolution des religions.

gager toujours davantage, trouvait à soixante-dix ans cette large formule de sa foi : « Nul ne doit être rangé parmi les infidèles qui voit dans la justice la grande foi de la vie humaine et qui poursuit une soumission toujours plus complète de sa volonté à son sens moral. »


II. — Quelle peut être la valeur et quelle peut être la diirée du symbolisme métaphysique et moral auquel on essaye ainsi de réduire la religion ?

Parlons d’abord des prolestants libéraux. Le protestantisme libéral, qui ramène les dogmes mêmes à de simples symboles, est sans doute en progrès par rapport au protestantisme orthodoxe, comme ce dernier par rapport au catholicisme. Mais, autant il semble l’emporter au point de vue moral et social, autant au point de vue logique, il est inférieur. On a appelé irrévérencieusement le catholicisme « un cadavre embaumé à la perfection » une momie chrétienne admirablement conservée sous les chasubles dorées et les surplis qui l’enveloppent ; avec le protestantisme de Luther ce corps se déchire et s’en va en lambeaux ; avec le protestantisme dit libéral il tombe en poussière. Conserver le christianisme en supprimant le Christ, le fils ou tout au moins l’envoyé de Dieu, c’est là une entreprise dont étaient seuls capables des esprits peu portés, par leur nature même, à tenir grand compte de ce que nous appelons la logique. Qui n’admet pas la révélation doit se dire franchement philosophe et ne pas tenir plus de compte de la Bible et de l’Évangile que des dialogues de Platon ou des traités d’Aristote, des Védas ou du Talmud. Les protestants libéraux, comme le remarque M. de Hartmann, un de leurs adversaires les plus acharnés, s’emparent de toutes les idées modernes pour les « faire voyager sous le pavillon chrétien. » Ce n’est pas très conséquent. Quand on veut absolument se ranger autour d’un drapeau, au moins que ce soit le vôtre et non celui d’autrui. Mais les protestants libéraux veulent, de très bonne foi d’ailleurs, être et rester protestants ; en Allemagne ils s’obstinent à demeurer dans l’  « Église évangélique unie » de Prusse ; ils y sont à leur place « comme un moineau dans un nid d’hirondelle. » M. de Hartmann, qui à leur égard est d’une verve intarissable, les compare à des hommes dont la maison craque en maint endroit et menace ruine ; ils s’en aperçoivent, font tout ce qu’ils peuvent pour l’ébranler encore davantage, et cependant ils continuent tranquillement d’y dormir, ils y