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dissolution des religions.

servateur et une chambre progressiste, qui cherchent tous deux de bonne volonté un « modus vivendi. »

Par un procédé auquel n’aurait jamais osé songer Luther, les protestants ont imaginé d’étendre jusqu’aux dogmes essentiels cette faculté d’interprétation symbolique que Luther avait restreinte aux textes d’importance secondaire. Le plus essentiel des dogmes, celui dont dépendent tous les autres, est le dogme de la révélation. Si, depuis Luther, un protestant orthodoxe peut discuter tout à son aise sur le sens de la parole sacrée, il ne met pas en doute un seul instant que cette parole ne soit sacrée en effet et ne renferme un sens divin : quand il tient la Bible, il se croit certain de tenir dans sa main la vérité ; il ne lui reste plus qu’à la découvrir sous les mots qui la renferment, à fouiller le livre saint dans tous les sens comme les fils du laboureur fouillèrent le champ où ils croyaient un trésor caché. Mais est-ce donc bien sûr que ce trésor soit authentique, que la vérité se trouve toute faite dans les feuillets du livre ? Voilà ce que se demande le protestantisme libéral, qui, déjà répandu en Allemagne, en Angleterre, aux États-Unis, possède en France même bon nombre de représentants. Tous les chrétiens s’accordaient jusqu’alors à croire qu’il y avait réellement un Verbe ; de nos jours cette foi même semble tendre à devenir symbolique. Sans doute Jésus a quelque chose de divin, mais ne sommes-nous pas tous divins par quelque endroit ? « Comment, écrit un pasteur libéral, comment serions-nous surpris de voir en Jésus un mystère, quand nous en sommes un à nous-mêmes ? » Selon les nouveaux protestants, il ne faut plus rien prendre au pied de la lettre, même ce qu’on avait considéré jusqu’alors comme l’esprit du christianisme. Pour les plus logiques d’entre eux, la Bible est presque un livre comme les autres ; la coutume l’a consacré ; on y trouve Dieu quand on l’y cherche, parce qu’on trouve Dieu partout, et qu’on l’y met, si par hasard il n’y est pas. Le Christ perd son auréole divine, ou plutôt il la partage avec tous les anges et tous les saints. Il perd sa pureté toute céleste, ou plutôt il nous la partage à tous ; car le péché originel n’est lui aussi qu’un symbole et nous naissons tous les fils innocents du Dieu bon. Autres symboles, que les miracles qui représentent d’une manière grossière et visible la puissance intérieure de la foi. Nous n’avons plus d’ordres à recevoir directement de Dieu ; Dieu ne nous parle plus seulement par une seule voix, mais par toutes