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dissolution de la foi dogmatique.

sons pas. Il y a dans la science deux parties : l’une, constructive, l’autre destructive. La partie constructive est déjà assez avancée, dans nos sociétés modernes, pour répondre à certains desiderata de l’esprit humain que le dogme se chargeait jadis de satisfaire. Sur la genèse du monde, par exemple, nous avons aujourd’hui des renseignements plus étendus et plus détaillés que ne le sont les imaginations bibliques. Sur la filiation des espèces, nous arriverons par degrés à un certain nombre de certitudes. Enfin tous les phénomènes célestes ou terrestres les plus saillants aux yeux des foules sont déjà complètement expliqués. Le pourquoi définitif n’est pas donné sans doute ; on se demande même s’il y en a un. Quant à la réponse au comment, elle est déjà poussée très loin. Il ne faut pas oublier que les religions ont commencé par la physique, que la physique est restée longtemps en elles la partie essentielle et prépondérante ; aujourd’hui elles sont forcées de s’en séparer et perdent ainsi une grande partie de leur attrait, qui a passé à la science.

La science n’a pas moins d’importance par son influence dissolvante et destructive. D’abord les sciences physiques et astronomiques. Toutes les anciennes superstitions sur les tremblements de terre, les éclipses, etc., qui étaient une occasion constante d’exaltation religieuse, sont détruites ou bien près de l’être jusque dans les masses populaires. La géologie a renversé d’un seul coup les traditions de la plupart des religions. La physique a tué les miracles. De même pour la météorologie, si récente et qui a tant d’avenir. Dieu, pour l’homme du peuple, est resté trop souvent encore celui qui fait la pluie et le beau temps, l’Indra des Hindous. Un prêtre me disait l’autre jour, le plus sérieusement du monde, que les prières de ses paroissiens avaient donné au pays trois jours de soleil. Dans les villes dévotes, si la pluie tombe un jour de procession et s’arrête un peu avant le départ du cortège, on ne manque jamais de voir là un miracle. Les populations de marins, dont le sort dépend si étroitement des perturbations atmosphériques, sont plus portées que d’autres aux pratiques superstitieuses. Du moment où l’on pourra d’avance prévoir à peu près le temps et se prémunir, toutes ces superstitions tomberont. C’est ainsi que la crainte du tonnerre s’efface rapidement de nos jours : or cette crainte était entrée comme un important facteur dans la formation des religions antiques. Franklin, en