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dissolution des religions.

plus, — ne fait elle-même qu’expliquer littéralement et grossièrement ce passage : « Le Fils de l’homme est venu pour donner sa vie en rançon pour plusieurs. « Du moment où on veut s’en tenir sur un texte au sens littéral, pourquoi ne pas le faire aussi pour les autres textes ? Le protestantisme, en introduisant une certaine dose de liberté dans la foi, y a introduit aussi l’esprit d’inconséquence : c’est là sa qualité et son défaut. Quelqu’un me disait un jour : « Si je voulais tout croire, je ne croirais plus à rien, » Voilà le raisonnement de Luther ; il a voulu faire la part du feu dans les dogmes, et il a espéré conserver la foi en la limitant. Ces limites sont artificielles. Il faut voir comment Pascal, avec l’esprit logique d’un Français qui est en même temps un mathématicien, se moque du protestantisme : « Que je hais ces sottises ! s’écrie-t-il : ne pas croire à l’Eucharistie, etc. Si l’Évangile est vrai, si Jésus-Christ est Dieu, quelle difficulté y a-t-il là ? « Nul mieux que Pascal n’a vu, comme il dit, ce qu’il y a d’ « injuste, » dans certains dogmes chrétiens, ce qu’il y a de « choquant, » les « choses tirées par les cheveux, » les « absurdités » : il a vu tout cela, et il l’a accepté. Il voulait tout ou rien : quand on a fait un marché avec la foi, on ne choisit pas ce qu’il y a de meilleur pour laisser le reste, on prend tout et on donne tout. C’est encore Pascal qui a dit que l’athéisme était signe de force d’esprit, mais d’une force déployée sur un point seulement : on peut retourner la parole et dire qu’on est catholique par force d’esprit au moins sur un point. Le protestantisme, quoique d’un ordre plus élevé dans l’évolution des croyances, demeure pourtant aujourd’hui une marque de faiblesse d’esprit chez ceux qui persistent à s’y arrêter après les premiers pas faits vers la liberté de la pensée : c’est un arrêt à moitié chemin. Au fond, les deux orthodoxies rivales qui, de notre temps, se disputent les nations civilisées, étonnent également celui qui a été élevé en dehors d’elles.


III. — DISSOLUTION DE LA FOI DOGMATIQUE
DANS LES SOCIÉTÉS MODERNES


La foi dogmatique, étroite ou large, peut-elle subsister indéfiniment devant la science moderne ? Nous ne le pen-