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introduction.

le monde à une sorte de réciprocité morale et sociale, là où nous concevons un échange possible de sentiments et même de désirs, une sorte de sociabilité entre l’homme et les puissances cosmiques, quelles qu’elles soient. L’homme ne croit plus alors pouvoir exactement mesurer d’avance le contre-coup mécanique, le choc en retour d’une action, — par exemple d’un coup de hache donné à un arbre sacré ; — car, au lieu de considérer l’action brute, il lui faut désormais regarderaux sentiments ou aux intentions qu’elle exprime, et qui peuvent provoquer des sentiments favorables ou défavorables chez les dieux. Le sentiment religieux devient alors le sentiment de dépendance par rapport à des volontés que l’homme primitif place dans l’univers et qu’il suppose elles-mêmes pouvoir être affectées agréablement ou désagréablement par sa volonté propre. Le sentiment religieux n’est plus seulement le sentiment de la dépendance physique où nous nous trouvons par rapport à l’universalité des choses ; c’est surtout celui d’une dépendance psychique, morale et en définitive sociale Cette relation de dépendance a en effet deux extrémités, deux termes réciproques et solidaires : si elle rattache l’homme aux puissances de la nature, elle rattache celles-ci à l’homme ; l’homme a plus ou moins prise sur elles, il peut les blesser moralement, comme il peut en être lui-même frappé. Si l’homme est dans la main des dieux, il peut pourtant forcer cette main à s’ouvrir ou à se fermer. Les divinités mêmes dépendent donc de l’homme, peuvent de son fait souffrir ou jouir.