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dissolution des religions.

mentale, physique ; elle ne s’opposait pas à la croyance scientifique, qui, à vrai dire, n’existait pas. C’était plutôt une crédulité qu’une foi, et la foi religieuse est encore de nos jours une crédulité ayant une force obligatoire, qui s’est appuyée d’abord sur l’autorité des hommes supérieurs, puis sur celle de Dieu même.

On a attribué l’origine de la foi religieuse au seul besoin du merveilleux, de l’extraordinaire ; nous avons déjà montré que les religions font, au contraire, ce qu’elles peuvent pour régler la marche de l’imagination, tout en l’excitant, et pour ramener l’inconnu au connu. Il faut que le merveilleux soit un moyen de rendre une chose compréhensible en apparence ; il faut que l’invisible se fasse toucher du doigt. Ce que les peuples primitifs ont cherché dans la conception des diverses religions, c’était moins le « merveilleux » au sens moderne que sa suppression partielle : ils cherchaient une explication, et l’explication par des puissances supérieures, par des esprits, par des vertus occultes, leur semblait plus claire qu’une loi scientifique.

Du reste, une explication quelconque lui étant une fois donnée, l’homme primitif ne songera plus à la discuter jamais : il est essentiellement un « homme de foi. » Pas plus que l’enfant, il ne connaît ces nuances délicates que nous désignons sous les noms de vraisemblance, de probabilité, de possibilité. La suspension volontaire du jugement que nous appelons doute marque un état d’esprit extrêmement avancé. Chez l’enfant et le sauvage, la pensée affirme son objet en pensant ; ils ne savent pas réserver leur approbation, se défier de leur propre intelligence ou de celle des autres. Il faut une certaine humilité dont sont incapables les esprits trop jeunes pour dire : cela peut être, mais aussi cela peut ne pas être, — en d’autres termes : je ne sais pas. Il faut aussi de la patience pour vérifier avec soin ce qu’on croit, et la patience est le plus difficile des courages. Enfin l’homme éprouve toujours le besoin de déclarer réel ce qui est attrayant, ce qui satisfait son esprit : quand on a dit à l’enfant un conte séduisant, il vous demande : « C’est vrai, n’est-ce pas ? » S’agit-il, au contraire, d’une histoire plus ou moins triste dont le dénouement le mécontente, il s’écrie : « Ce n’est pas vrai ! » Un homme du peuple à qui on démontrait, pièces en mains, qu’une chose qu’il croyait vraie était fausse, répondait en secouant la tête : « Si ce n’est pas vrai, ce doit l’être. » Tous les peuples primitifs en sont là. Dans un mémoire sur le Développement de l’in-