Page:Guyau - L’Irréligion de l’avenir.djvu/14

Cette page a été validée par deux contributeurs.
iv
introduction.


le sentiment que nous avons tous de notre dépendance absolue. Les puissances dont nous nous sentons ainsi dépendants, nous les nommons divinités. D’autre part, selon Feuerbach, l’origine, l’essence même de la religion, c’est le désir : si l’homme n’avait pas de besoins et de désirs, il n’aurait pas de dieux. Si la douleur et le mal n’existaient pas, dira plus tard M. de Hartmann, il n’y aurait pas de religion ; les dieux mêmes n’ont été dans l’histoire que les puissances dont l’homme croyait recevoir ce qu’il ne possède pas et voudrait posséder, dont il attendait la libération, le salut, la félicité. Les deux définitions de Schleiermacher et de Feuerbach prises à part sont incomplètes, et il est au moins nécessaire, comme le remarque Strauss, de les superposer. Le sentiment religieux est tout d’abord le sentiment d’une dépendance, mais ce sentiment de dépendance, pour donner vraiment naissance à la religion, doit provoquer de notre part une réaction, qui est le désir de délivrance. Sentir notre faiblesse, prendre conscience des déterminations de toute sorte qui limitent notre vie, puis désirer d’augmenter notre puissance sur nous-mêmes et sur les choses, élargir notre sphère d’action, reconquérir une indépendance relative en face des nécessités de toute sorte qui nous enveloppent, telle est la marche de l’esprit humain en face de l’univers.

Mais ici une objection se présente : la même marche semble suivie exactement par l’esprit pour l’établissement de la science. Dans la période scientifique, l’homme se sent aussi fortement dépendant que