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origine anthropomorphique de l’idée de création.

un commencement soit de panthéisme moniste, soit de monothéisme.

Remarquons en outre que M. de Hartmann, qui cherche un monisme vague au début même des religions, voit dans les Védas « la première forme de la religion naturelle, dont toutes les mythologies gardent plus ou moins les traces. » C’est oublier que, pour un anthropologiste, les Védas sont des compositions toutes modernes, et que la littérature hindoue est déjà des plus raffinées. La métaphysique de l’unité peut être le but vers lequel tendent les religions, elle n’en est pas le point de départ. Enfin, M. de Hartmann a voulu établir entre les religions un lien de filiation logique, un progrès. Ce progrès n’existe que dans les abstractions réduites en système par M. de Hartmann, non dans l’histoire : il est dialectique et non historique. Les divers points de vue religieux ont très souvent coïncidé dans l’histoire ; parfois même un point de vue supérieur a précédé un inférieur.

Une autre classification, moins suspecte que celle de M. de Hartmann, est la célèbre progression comtiste du fétichisme au polythéisme et du polythéisme au monothéisme. Ici, ce ne sont plus des abstractions métaphysiques qui servent de cadres, ce sont des nombres. Mais les nombres ont aussi leur côté artificiel et superficiel : ils n’expriment pas ce qu’il y a de plus fondamental dans les idées religieuses. D’abord, il est bien difficile de voir une différence radicale entre le fétichisme naturiste et le polythéisme : la multiplicité des divinités est un caractère commun à ces deux âges. La seule différence que Comte puisse établir, c’est que, dans le polythéisme, on n’a plus qu’une seule divinité pour toute une classe d’objets, par exemple pour tous les arbres d’une forêt, ou pour toute une classe de phénomènes, comme la foudre, les orages. Mais ce commencement d’abstraction et de généralisation est bien moins important, bien plus extérieur et plus purement logique, que la progression psychologique et métaphysique qui va du naturisme concret et grossièrement unitaire à l’animisme dualiste. Cette dernière progression est le germe des métaphysiques naturaliste et spiritualiste, qui ont plus d’importance qu’un système de numération mathématique et de généralisation logique. De même, le passage du polythéisme au monothéisme est encore conçu par Comte trop mathématiquement. Le polythéisme a de bonne heure entrevu une subordination des dieux à un dieu plus puis-