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la genèse des religions.

l’a jamais vu ; il est au ciel, et en même temps il est près de nous ; il nous voit et nous écoute ; c’est lui qui a fait les fleurs, qui t’a faite toi-même, et moi, et tout ce qui existe. » — Je ne rapporterai pas les réponses de l’enfant, car je crois qu’elle était trop étonnée pour rien dire ; elle se trouvait dans une situation semblable à celle de ces sauvages à qui un missionnaire vient parler tout à coup de Dieu, être suprême, créateur de toutes choses, esprit dépourvu de corps. Parfois ils refusent de comprendre et montrent leur tête en disant qu’ils en souffrent ; d’autres fois ils croient qu’on se moque d’eux. Chez nos enfants mêmes, il y a des étonnements longs et muets, qui font place peu à peu à l’habitude. Ce qui est frappant dans la petite conversation que nous rapportions tout à l’heure, c’est de voir comment le mythe métaphysique jaillit nécessairement de l’erreur scientifique. Une induction inexacte donne d’abord la notion d’un être humain agissant par des moyens inconnus et insaisissables pour nous : cette notion, une fois obtenue, prend corps dans tel ou tel individu, objet d’une vénération particulière ; puis elle ne tarde pas à reculer de cet individu à un autre plus lointain, de la campagne à la ville, de la terre au ciel, enfin du ciel visible au fond invisible des choses, au substratum omniprésent du monde. En même temps l’être doué de pouvoirs merveilleux prend un caractère de plus en plus vague et abstrait. L’intelligence emploie, en développant sa conception de l’être supra-naturel, la méthode que les théologiens désignaient sous le nom de méthode négative, et qui consiste à lui enlever successivement chacun des attributs à nous connus. Si les hommes et les peuples ont toujours procédé ainsi, c’est moins par un raffinement de pensée que par une nécessité qui s’imposait à eux. En approfondissant la nature, ils vovaient fuir devant eux la trace de leurs dieux : tel un mineur qui pense avoir reconnu la présence de l’or sous ses pas creuse le sol, et, ne trouvant rien, ne peut pourtant se résoudre à croire que la terre ne cache aucun trésor ; il fouille toujours plus avant, dans une espérance éternelle. De même, au lieu de renoncer à ses dieux, l’homme les porte devant lui, les rejetant plus loin à mesure qu’il avance. En général, ce que la nature exclut tend à prendre un caractère métaphysique ; toute erreur qui se prolonge malgré les progrès de l’expérience finit par se subtiliser d’une étonnante manière et par se réfugier au ciel, dans une sphère de plus en