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la providence et la société avec les dieux.

chose que le sophisme paresseux des Orientaux ? Il est, vrai qu’on corrige habituellement la parole : « le ciel t’aidera, » par le précepte : « aide-toi toi-même. » Mais, pour s’aider soi-même efficacement, encore faut-il avoir l’initiative et l’audace, encore faut-il se révolter contre les événements au lieu de se courber devant eux ; il ne faut pas se contenter de dire : « Que la volonté de Dieu soit faite, » mais : « Que ma volonté soit faite ; » il faut être comme un rebelle au sein de la multitude passive des êtres, une sorte de Prométhée ou de Satan. Il est difficile de dire à quelqu’un « Tout ce qui arrive, tout ce qui est, est par l’irrésistible et spéciale volonté de Dieu, » et d’ajouter cependant : « Ne te soumets pas à ce qui est. » Les hommes du moyen âge, sous la tyrannie et dans la misère, se consolaient en pensant que Dieu même les frappait, et n’osaient se lever contre leurs maîtres, crainte de se lever contre Dieu. Pour conserver l’injustice sociale, il a souvent fallu la diviniser : on a fait un droit divin de ce qui n’était plus un droit vraiment humain et réel.

Le sentiment d’initiative, comme celui de responsabilité, est tout moderne et ne pouvait se développer dans l’étroite, société où l’homme a longtemps vécu avec les dieux. Se dire : « je puis, moi, entreprendre quelque chose de nouveau ; j’aurai l’audace d’introduire un changement dans le momie, d’aller de l’avant ; dans le combat contre les choses, je lancerai la première flèche, sans attendre, comme le soldat antique, que les devins aient fini d’interroger les dieux et donnent eux-mêmes le signal ; » voilà une chose qui eût paru énorme aux hommes d’autrefois, eux qui ne faisaient point un pas sans consulter leurs dieux et les portaient devant eux pour s’ouvrir la route. L’initiative semblait alors une offense directe à la providence, un empiétement sur ses droits ; frapper le rocher, comme Aaron, avant d’avoir reçu l’ordre du dieu, c’était s’exposer à sa colère. Le monde était une propriété particulière du Très-Haut. Il n’était pas permis à l’homme de se servir à son gré des forces de la nature, comme il n’est pas permis aux enfants de jouer avec le feu ; encore n’était-ce pas pour la même raison, car nous ne sommes pas « jaloux » des enfants. La jalousie des dieux est une conception qui s’est propagée jusqu’à nos jours, quoiqu’elle cède et recule sans cesse devant le progrès de l’initiative humaine. La machine, cette œuvre de l’âge moderne, est la plus puissante atteinte portée à l’idée de providence extérieure et de fina-