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la providence et la société avec les dieux.

porte guère. » Et encore : « Te voilà guéri, ne pèche plus. » Jésus lui-même devait avoir conscience, comme Socrate et Empédocle, mais à un plus haut degré encore, de posséder une puissance à la fois morale et physique, une « vertu » dont il ne se rendait pas compte à lui-même et qui lui semblait un don divin. D’une part il se sentait, en un sens moral et symbolique, le guérisseur des sourds, des aveugles et des paralytiques, le médecin des âmes ; d’autre part des guérisons d’hystériques, plus ou moins temporaires mais réelles, le forçaient à s’attribuer encore un autre pouvoir surhumain sur les corps eux-mêmes.

La science du système nerveux, qui s’est formée de nos jours seulement, apparaît à un certain point de vue comme une constatation perpétuelle et un commentaire du miracle. Peut-être un quart des faits merveilleux observés et révérés par l’humanité rentrent-ils dans le domaine et sous la compétence de cette science nouvelle. Le médecin ou l’observateur entouré de ses « sujets » est dans la situation du prophète : ceux qui l’entourent sont forcés sans cesse de reconnaître en lui une puissance occulte qui les dépasse et qui le dépasse lui-même ; les uns et les autres vivent dans l’extraordinaire. Les faits d’insensibilité partielle, de catalepsie suivie d’un réveil par lequel le mort semble ressusciter, de suggestion mentale même à distance, tous ces faits qui seront connus et expliqués chaque jour davantage sont encore pour nous en ce moment sur les confins du miracle : nous les sentons se détachant à peine de la sphère religieuse pour tomber dans la sphère scientifique. L’observateur qui constate pour la première fois qu’il peut envoyer un commandement presque invincible dans un regard, dans une pression de la main, et même, semble-t-il, à distance, par la simple tension de sa volonté traversant l’espace, doit éprouver une sorte d’étonnement, de frayeur même, de trouble presque religieux à se sentir armé d’un tel pouvoir. Il doit comprendre comment l’interprétation mystique et mythique de ces faits n’est, pour ainsi dire, qu’une affaire de nuances que les intelligences primitives ne pouvaient pas saisir.

Même les miracles qui ne se rattachent pas directement aux phénomènes cachés du système nerveux apparaissent de plus en plus à l’historien et au philosophe comme ayant un fondement objectif ; ce qui est subjectif, c’est le merveilleux, le providentiel. Ils se produisent réellement, mais dans le cœur : au lieu d’engendrer la foi, ils en procèdent et s’ex-