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introduction


    études que Guyau consacre à la littérature contemporaine (le romnn psychologique et sociologique, les idées philosophiques et sociales dans la poésie, la littérature des déséquilibrés et des décadents), sont « de véritables modèles de critique littéraire ». M. Boirac signale les belles pages où Guyau revendique pour Victor Hugo « le titre de penseur que certains contemporains lui ont injustement contesté », et la solution très neuve que Guyau donne, dans sa Conclusion, au vieux problème de « la moralité dans l’art ».

    M. Dauriac, dans l’Année philosophique (9e année) nous montre aussi Guyau, au moment où nous allions le perdre, « en possession d’une maîtrise nouvelle, celle de la critique psychologique appliquée aux œuvres de la littérature et de l’art ». À mesure qu’on avance dans la lecture de l’Art au point de vue sociologique, dit-il, « on est charmé de découvrir chez le philosophe-poète un critique de haut vol, très apte à tout comprendre et d’une extrême perspicacité ». M. Dauriac cite en exemple, à son tour, le chapitre sur Victor Hugo et le chapitre sur le roman psychologique, « où il semble, après l’avoir lu, que, jusqu’à Guyau, personne n’avait vu si loin, ni pénétré si avant. » C’est donc un nouvel aspect « de ce talent aux dons multiples » que l’Art au point de vue sociologique nous présente.

    M. Brunetière, qui s’est toujours préoccupé des rapports intimes entre l’art et la morale, ne pouvait manquer de trouver que le livre de Guyau « vient bien à son heure, dans le temps précis qu’il semble que les doctrines de l’art pour l’art et du dilettantisme critique ont plus de passé que d’avenir, moins de jeunes gens pour s’y attacher que de vieillards pour en couvrir la retraite ». M. Brunetière, rappelant, dans la Revue des Deux-Mondes, les idées sur l’art soutenues par Guyau, en reconnaît, dans l’Art au point de vue sociologique, « une application nouvelle, ingénieuse et hardie, généreuse surtout ». Mais ce qui a frappé principalement M. Brunetière, c’est moins le principe même de la théorie de Guyau, je veux dire l’essence sociologique de l’art, que la conséquence pratique qui en découle sur la fonction sociale de l’art. Selon Guyau, dit M. Brunetière, « l’art n’est pas uniquement un jeu pour l’artiste et un divertissement pour le public ; étant fait pour l’homme, et non pas l’homme pour lui, l’art a un rôle, ou, pour mieux dire, une fonction sociale ; et c’est ce rôle qu’essaie de préciser l’auteur de l’Art au point de vue sociologique ». Ailleurs, M. Brunetière montre que « la littérature n’est pas un amusement d’oisifs ou un divertissement de mandarins ; qu’elle est à la fois un instrument d’investigation psychologique et un moyen de perfectionnement moral » ; il ajoute qu’écrire, « ce n’est pas seulement rêver, ou sentir, ou penser, c’est agir » ; n’est-ce pas la condition même de l’œuvre écrite « qu’elle se détache de son auteur, et que, vivant d’une vie propre et indépendante, elle dure d’âge en âge pour être aux hommes un modèle qu’ils imitent, une conseillère qu’ils consultent, et une institutrice qu’ils écoutent » ? M. Brunetière estime que ce principe a « des suites infinies », et c’est ce principe, dit-il, qui, « hier encore, inspirait tout un livre à Guyau, l’auteur assez libre, je pense, assez indépendant, assez audacieux même de l’Irréligion de l’avenir et de l’Esquisse d’une morale sans obligation ni sanction ». (Voir Revue des Deux-Mondes, 1er mars 1890 et 1er août 1889.)


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