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le rythme.

du vers. Puisque la poésie est tout entière non dans une manière déterminée d’exprimer la pensée, mais dans la pensée émue elle-même, puisqu’elle traverse les formes et les temps alors que le vers change avec les pays et les époques, pourquoi vouloir la renfermer dans une forme à l’exclusion de toute autre ? C’est bien parce qu’il était un rythme de la pensée et non pas seulement des mots que le parallélisme biblique, par exemple, se reproduit chez nous ou s’y continue par ces retours de pensée si expressifs et si fréquents. Qu’il s’agisse d’une chose, d’un être ou d’une simple idée, nous éprouvons une joie infinie à retrouver, à revenir vers ce qui est déjà connu, déjà ami par conséquent. Car c’est une loi de la nature que rien ne se perde et ne disparaisse, mais c’est une autre loi aussi que tout ne soit jamais absolument le même et que tout se transforme, réunissant ainsi l’attrait du nouveau à l’attachement au passé. Voilà pourquoi nous aimons ces retours d’une pensée première, d’une pensée qui se déroule et s’agrandit pour se retrouver à la fin, même et autre tout ensemble. Ces retours plaisent comme des ondulations^ et aussi comme un écho de ces vagues refrains qui semblent passer sur les choses. Chez le poète, la pensée est obligée d’adopter une fois pour toutes le vers et ses diverses formes, pour s’y imprimer. Selon le caractère du moment, elle prend l’allure du grave alexandrin ou celle des vers plus courts et plus variés : certes, le poète a toute liberté, en présence d’un changement marqué dans le sentiment ou l’émotion, de changer aussi de rythme ; mais en prose, c’est à chaque instant que la pensée se taille sa forme et sa mesure, chacun de ses mouvements se traduit aussitôt par le nombre des mots et la coupe des phrases. Ici, la seule règle pour maintenir l’harmonie que nul arrangement n’assure à l’avance, c’est précisément cet accord parfait de l’idée et du mot : celui-ci doit la rendre avec une telle exactitude que, l’exprimant, il semble s’effacer et qu’elle seule apparaisse. La pensée ondule et vibre, la forme a pour but de rendre sensible toute cette vie, non de l’arrêter ou de la limiter. C’est ainsi qu’une statue, pour être véritabLement œuvre d’art, ne communique pas à l’homme qu’elle