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l’art au point de vue sociologique.

les césures du vers, de manière à le ramener à cette forme régulière : 4-4-3, ou à cette autre, meilleure, 3-3-3-2. Cependant ce vers retrouverait^ sous ces deux formes, un certain équilibre. Voici un échantillon quelconque de la première :


Sur les champs gris, sur le vallon, sur le pré,
Le soir tombait ; mais le grand mont, empourpré.
Seul survivant au jour qui meurt, semble encore
Dans cette nuit sentir passer une aurore.


Nous découvrons un excellent échantillon de la seconde forme dans Riehepin, qui, après des vers comme ceux-ci :


Mais des petits, on en peut avoir beaucoup.
A mon unique enfant je coupai le cou,


rencontre tout à coup ce rythme expressif :


En avant ! Ventre à terre ! Au galop ! Ilurrali !
           Plus d’un bon vivant
           Qui fendait le vent
Aujourd’hui sous le vent du destin mourra.
Ventre à terre ! Au galop ! En avant !


Dans cette strophe le vers de onze pieds, sous la forme 3-3-3-2, reproduit le rythme de la marche de Guillaume Tell ; aucun vers ne pouvait rendre mieux l’impression du galop d’un cheval.

Nous ne refusons donc pas au poète la liberté de modifier les rythmes en vue de l’idée, de l’image ou du sentiment[1]. Mais pourquoi lui refuser aussi la liberté des rimes tantôt riches, tantôt simplement suffisantes, selon qu’il veut attirer l’attention sur la forme ou sur l’idée ? La richesse constante de la rime est le pendant de l’emphase oratoire qui faisait la beauté du style au temps du premier empire, et qui nous fait sourire aujourd’hui. Elle donne au vers je ne sais quoi de tendu, de ronflant et de monotone. Tout effet musical n’est bon qu’à deux conditions : être approprié au but et ne pas être sans cesse répété. Nous rions de l’honnête Boileau qui,

  1. Voir, pour plus de détails, dans nos Problèmes de l’esthétique contemporaine, le livre consacré à l’esthétique du vers.