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l’art au point de vue sociologique.

une gloire de poussière. Toute la route semble marcher avec lui... Tout cela défile devant nous joyeusement et s’engouffre sous le portail, en piétinant avec un bruit d’averse. »

Toute transposition de sensations cause d’habitude un certain plaisir par elle-même : c’est un moyen d’augmenter l’émotion que d’y faire collaborer à la fois plusieurs centres nerveux. Néanmoins, une bonne métaphore se reconnaît d’habitude à ce qu’elle ne transforme pas seulement une sensation en une autre, mais donne à la chose sentie une plus grande apparence de vie et constitue ainsi une sorte de progrès de l’inanimé vers l’animé. Voici la transposition d’une sensation auditive en sensation visuelle, d’une ondulation invisible de l’air en ondulation visible et, par ce moyen terme, la transformation d’une chose inanimée en une apparence d’être animé, de témoin vivant : « …Dans l’air moite et odorant de la pièce les trois bougies flambaient… ; et, coupant seul le silence, par l’étroit escalier un souffle de musique montait ; la valse, avec ses enroulements de couleuvre, se glissait, se nouait, s’endormait sur le tapis de neige [1]. » La transposition de sons en images pour la vue, et en images animées, a rendu célèbres les vers d’Hugo :


Le carillon, c’est l’heure inattendue et folle
Que l’on croit voir, vêtue en danseuse espagnole,
Apparaître soudain par le trou vif et clair
Que ferait en s’ouvrant une porte de l’air…


2o Transposition du sentiment en sensation.


                                          Nos pensées
S’envolent un moment sur leurs ailes blessées,
        Puis retombent soudain [2].


Madame Bovary abonde en exemples : « Alors elle allongea le cou (vers le crucifix) comme quelqu’un qui a soif. » — « Si Charles l’avait voulu cependant, il lui semblait

  1. Zola, la Curée.
  2. V. Hugo.