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les idées philosophiques et sociales dans la poésie.


III


Hugo, toujours préoccupé du point de vue social, avait chanté les Misérables et, dans la Légende des siècles, les petits. Il restait et il reste encore bien des inspirations à chercher, pour le poète, dans toute cette partie de la société, la plus nombreuse, qui vit ignorée, et qui est cependant le fond même de l’humanité. Là, que de joies et que de douleurs avec lesquelles le poète, comme le philosophe, peut entrer en sympathie ! Coppée l’a compris et, à son tour, il chante les Humbles. C’est un psychologue et un moraliste, en même temps qu’un poète. Avec quelle vérité d’expression et quelle sympathie il a su peindre cette femme seule, dont il nous fait deviner la tristesse :


Elle était pâle et brune ; elle avait vint-cinq ans ;
Le sang veinait ; de bleu ses mains longues et lières ;
Et, nerveux, les longs cils de ses chastes paupières
Voilaient ses regards bruns de battements fréquents.

Quand un petit enfant présentait à la ronde
Son front à nos baisers, oh ! comme lentement,
Mélancoliquement et douloureusement,
Ses lèvres s’appuyaient sur cette tête blonde !

Mais, aussitôt après ce trop cruel plaisir.
Comme elle reprenait son travail au plus vite !
Et sur ses traits alors quelle rougeur subite
En songeant au regret qu’on avait pu saisir !…

J’avais bien remarqué que son humble regard
Tremblait d’être heurté par un regard qui brille,
Qu’elle n’allait jamais près d’une jeune fille,
Et ne levait les yeux que devant un vieillard[1]


Seulement Coppée a trop souvent pensé que, pour trouver le vrai, — à notre époque on le cherche beaucoup, — il suffisait de découvrir et de reproduire le fond effacé et journalier de la vie, en un mot sa banalité ; c’est un peu comme un mu-

  1. Une femme seule.