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les idées philosophiques et sociales dans la poésie.

de la philosophie grecque, où semble passer le grand souffle des Héraclite, des Empédocle, des Parménide :


Par-dessus tout la Grèce aimait la vérité !
Milet, Samos, Élée, habitantes des plages,
Vos poètes sont purs comme l’onde, et vos sages
Comme elle sont profonds, et leur témérité
Ouvrit sur l’inconnu de lumineux passages.
Dans la grande nature ils entraient éblouis,
Avec ferveur, sans choix, sans art ; leur premier songe
Errait émerveillé, comme la main qui plonge
Dans les trésors confus par l’avare enfouis !
Qu’est-ce que l’univers ? Il vit : quelle en est l’âme ?
Quel en est l’élément ? L’eau, le souffle, ou la flamme ?
Thalès y perd ses jours, Héraclite en pâlit,
Démocrite en riant a broyé la matière ;
Il livre à deux amours cette immense poussière,
Et le repos y naît d’un éternel conflit.
Phérécyde a crié : « Je ne suis pas une ombre,
» Je sens de l’être en moi pour une éternité. »
Et Pythagore, instruit dans les secrets du nombre,
Recompose le monde en triplant l’unité,
Le zodiaque énorme à ses oreilles gronde…
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Ces chercheurs étaient grands : ils se jetaient sans crainte
Au travers de la nuit sans guide ni sentier ;
Ignorant la prière, ils usaient de contrainte,
Et, pressant l’inconnu d’une superbe étreinte,
Pour penser dignement l’embrassaient tout entier.
Ils vouaient leur génie à cette œuvre illusoire ;
Se liant à lui seul, ils ne pouvaient pas croire
Qu’ayant l’intelligeace ils dussent regarder.
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Ô grand Zenon, patron de ces héros sans nombre
Accoudés sur la mort comme on s’assied à l’ombre
Et n’offrant qu’au devoir leur pudique amitié,
Tu fus le maître aussi du divin Marc-Aurèle,
Celui dont la douceur triste et surnaturelle
Était faite à la fois de force et de pitié !


Il eût fallu continuer de la même manière, faire passer sous nos yeux les systèmes vivants, comme des idées devenues des âmes. Par malheur, au lieu de ce lyrisme philosophique, nous trouvons bientôt un résumé abstrait de toute l’histoire de la philosophie, en vers mnémotechniques.


Anselme, ta foi tremble et ta raison l’assiste :
Toute perfection dans ton Dieu se conçoit :
L’existence en est une, il faut donc qu’il existe ;
Le concevoir parfait, c’est exiger qu’il soit.
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