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les idées philosophiques et sociales dans la poésie.


Et comme les astres penchants
Nous quittent, mais au ciel demeurent,
Ces prunelles ont leurs couchants,
Mais il n’est pas vrai qu’elles meurent :

Bleus ou noirs, tous aimés, tous beaux,
Ouverts à quelque immense aurore,
De l’autre côté des tombeaux
Les yeux qu’on ferme voient encore.


La caractéristique de Sully-Prudhomme, c’est cette élévation constante des sentiments. Il y joint une conscience scrupuleuse jusqu’à en être timorée, si bien qu’elle a fini par l’aire de la pensée du poète une timide ; — une timide vraiment, car elle n’ose parfois se porter en avant plutôt qu’en arrière ; pour chercher le bonheur, pour chercher l’idéal, elle s’arrête hésitante entre le passé lointain — incompris peut-être — et l’avenir indéterminé ; elle s’oublie volontiers dans l’un et se perd dans l’autre à la recherche de « l’étoile suprême »,


De celle qu’on n’aperçoit pas,
Mais dont la lumière voyage
Et doit venir jusqu’ici-bas
Enchanter les yeux d’un autre âge.

Quand luira cette étoile, un jour,
La plus belle et la plus lointaine,
Dites-lui qu’elle eut mon amour,
Ô derniers de la race humaine.


En attendant, le poète rêve dans le présent, et rêve d’un monde meilleur. Meilleur, non point en tant que gros de promesses et de bouleversements qui réaliseraient ce qu’on ne voit pas en ce monde-ci ; non ; meilleur, pour Sully-Prudhomme, signifie moins changer que demeurer : il rêve l’immobilité pour ce qui fuit, la cristallisation de ce qui passe, l’éternité enfin pour tout ce qui l’a enchanté icibas dans les êtres et dans les choses, pour tout ce qu’il a trouvé de bon et de grand au cœur de l’homme.


S’asseoir tous deux au bord du Ilot qui passe,
           Le voir passer ;
Tous deux, s’il glisse un nuage en l’espace.
           Le voir glisser ;
À l’horizon, s’il fume un toit de chaume,
           Le voir fumer ;