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l’art au point de vue sociologique.

— C’est un lieu commun aussi que de vivre, d’être homme : tous nous faisons tour à tour les mêmes réflexions ; cependant, pour chacun de nous, elles sont neuves, imprévues. Nos souffrances ne sont point émoussées par ce fait qu’elles ont été les souffrances de ceux qui ont vécu avant nous ; par contre, pas une de nos joies ne sera déflorée par les joies toutes pareilles de nos pères endormis. Que la vie soit une, se répète indéfiniment, voilà un lieu commun aussi vieux que la vie même. Seulement, à cette vie immuable, à ses bonheurs et à ses tristesses nous apportons, pour les faire nôtres, cette nuance indéfinissable qui est la personnalité. Le poète est celui en qui s’accuse cette façon toute particulière de sentir, et qui se trouve prêter ainsi aux lieux communs, à l’éternelle vie, la fraîcheur et la nouveauté de ce qui passe. Tout, dans la poésie, est donc lieu commun ou tout est original selon la façon dont on l’interprète. Les grandes idées morales et philosophiques ont beau se transformer sans cesse, après chacune de leurs métamorphoses on les retrouve toujours les mêmes en leur fond, mais avec quelque charme subtil de plus : elles sont comme cette belle de la légende métamorphosée en jasmin, qui, reprenant sa forme première, conserva pourtant le parfum de la fleur.

Les descriptions mêmes de la nature, dans Hugo, ont été accusées de lieu commun. À en croire M. Brunetière, Victor Hugo, fils d’un soldat.


Jeté comme la graine au gré de l’air qui vole,



traîné de ville en ville dans les bagages de son père, a pu chanter indifféremment ses « Espagnes », ou plus tard la maison de la rue des Feuillantines ; il n’a pas eu de « patrie locale, et à peine un foyer domestique. » Hugo n’a vu la

    Il se dit : « Le vrai, c’est le centre,
    Le reste est apparence ou bruit,
    Cherchons le lion et non l’antre ;
    Allons où l’œil fixe reluit. »

    Usent plus que l’homme en lui naître
    Il sent, jusque dans ses sommeils.
    Lueur à lueur, dans son être,
    L’infiltration des soleils.

    Ils cessent d’être son problème ;
    Un astre est un voile. Il veut mieux ;
    Il reçoit de leur rayon même
    Le regard qui va plus loin qu’eux.