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les idées philosophiques et sociales dans la poésie.

Contente-toi de dire : — il est, puisque la femme
Berce l’enfant avec un chant mystérieux ;
Il est, puisque l’esprit frissonne, curieux ;
Il est, puisque je vais le front haut ; puisqu’un maître
Qui n’est pas lui m’indigne, et n’a pas le droit d’être.
.................
Puisque l’âme me sert quand l’appétit me nuit,
Puisqu’il faut un grand jour sur ma profonde nuit[1].
On se rappelle l’éloquente apostrophe au prêtre dans
l’Année terrible :

Mais, s’il s’agit de l’être absolu qui condense
Là-haut tout l’idéal dans toute l’évidence,
Par qui, manifestant l’unité de la loi.
L’univers peut, ainsi que l’homme, dire : Moi ;
De l’être dont je sens l’âme au fond de mon âme,
.................
S’il s’agit du prodige immanent qu’on sent vivre
Plus que nous ne vivons, et dont notre âme est ivre
Toutes les fois qu’elle est sublime.....
.................
S’il s’agit du principe éternel, simple, immense,
Qui pense puisqu’il est, qui de tout est le lieu,
Et que, faute d’un nom plus grand, j’appelle Dieu,
Alors tout change, alors nos esprits se retournent,
.................
Et c’est moi le croyant, prêtre, et c’est toi l’athée[2].


Hugo s’en tient donc à la philosophie, mais à une philosophie qui n’exclut ni l’adoration, ni l’amour, ni même la prière. La force principale de l’homme, dit-il, c’est l’amour : « Nous ne comprenons ni l’homme comme point de départ, ni le progrès comme but, sans ces deux forces qui sont les deux moteurs : croire et aimer[3]. »

Et ailleurs :


Adorer, c’est aimer en admirant. cimes !
Que le soleil est beau sur les sommets sublimes[4].

L’homme est un point qui vole avec deux grandes ailes,
Dont l’une est la pensée et dont l’autre est l’amour.


La foi même provient de l’amour, et c’est pour cela que la vraie et libre foi est nécessaire à l’homme. « L’homme vit

  1. Religions et religion (Conclusion).
  2. L’Année terrible.
  3. Les Misérables, p. 187, tome IV.
  4. Les Quatre Vents de l’esprit (Deux voix dans le ciel), p. 170.