Page:Guyau - L’Art au point de vue sociologique.djvu/230

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
170
l’art au point de vue sociologique.

La Mort de Socrate résume éloquemment Platon et, plus d’une fois, y ajoute. Rappelez-vous ces vers qui expriment si bien la vie universelle et l’animation divine de la nature :


Peut-être qu’en effet, dans l’immense étendue.
Dans tout ce qui se meut une âme est répandue ;
Que ces astres brillants sur nos têtes semés
Sont des soleils vivants et des feux allumés ;
Que l’océan frappant sa rive épouvantée
Avec ses flots grondants roule une âme irritée ;
.................
Et qu’enfin dans le ciel, sur la terre, en tout lieu,
Tout est intelligent, tout vit, tout est un dieu[1].


Une théodicée est poétiquement enseignée dans Jocelyn : c’est la Religion de Racine fils, avec des traits de génie en plus :


Je suis celui qui suis.
Par moi seul enfanté, de moi-même je vis ;
Tout nom qui m’est donné me voile ou me profane ;
Mais, pour me révéler, le monde est diaphane[2].
Rien ne m’explique, et seul j’explique l’univers :
On croit me voir dedans, on me voit à travers ;

Ce grand miroir brisé, j’éclaterais encore.
Eh ! qui peut séparer le rayon de l’aurore ?
Celui d’où sortit tout contenait tout en soi.
Ce monde est mon regard qui se contemple en moi.


Si les premiers vers rappellent par trop les vers de Louis Racine, les derniers contiennent d’heureuses formules de philosophie néoplatonicienne.


    Est lui-même un milieu pour des mondes pareils.
    Ayant ainsi que nous leur lune et leurs soleils,
    Et voyant comme nous des firmaments sans terme
    S’élargir devant Dieu sans que rien le renferme !…
    Celles-là, décrivant des cercles sans compas.
    Passèrent une nuit, ne repasseront pas.
    Du firmament entier la page intarissable
    Ne renfermerait pas le chiffre incalculable
    Des siècles qui seront calculés jusqu’au jour
    Où leur orbite immense aura fermé son tour ;
    Elles suivent la courbe où Dieu les a lancées.

    C’est là une bonne dissertation en vers français.

  1. Πάντα θεῶν πλῆρα  (Panta theôn plêra), disaient les platoniciens.
  2. Oui, c’est un Dieu caché que le Dieu qu’il faut croire,
    Mais, tout caché qu’il est, pour révéler sa gloire,
    Quels témoins éclatants, dans les cieux rassemblés !
    Répondez, cieux et mer, et vous terre, parlez.