Page:Guyau - L’Art au point de vue sociologique.djvu/212

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
152
l’art au point de vue sociologique.

moral et social pour devenir un véritable intérêt esthétique.

La question de l’idéal, scientifiquement, se réduirait, selon Zola, à la question « de l’indéterminé et du déterminé ». Tout ce que nous ne savons pas, tout ce qui nous échappe encore, c’est pour lui « l’idéal », et le but de notre effort humain est chaque jour de « réduire l’idéal, de conquérir la vérité sur l’inconnu ». « Il appelle idéalistes « ceux qui se réfugient dans l’inconnu pour le plaisir d’y être », qui n’ont de goût que pour les hypothèses les plus risquées, qui dédaignent de les soumettre au contrôle « sous prétexte que la vérité est en eux et non dans les choses[1]. » Mais il est philosophiquement inadmissible d’appeler idéal l’indéterminé, l’inconnu ; il n’est pas moins inadmissible de l’appeler le fantastique, le faux. L’idéal n’est autre chose que la nature même considérée dans ses tendances supérieures ; l’idéal est le terme auquel l’évolution elle-même tend. Quant à l’idéal classique, qui est loin de coïncider toujours avec l’autre, il est simplement le type général et plus ou moins abstrait d’une classe d’êtres. Or, il n’est pas difficile de montrer que tout faux réaliste fait de l’idéalisme à rebours. Le procédé de simplification, d’abstraction, de généralisation absolue, qui caractérise les idéaux classiques, sortes de théorèmes vivants à la façon de Taine, c’est le procédé même du naturalisme contemporain. Seulement, au lieu d’éliminer le concret laid, comme les idéalistes classiques, on élimine le concret beau, ou simplement d’ordre intellectuel et psychique, pour ne laisser que le bestial et le matériel. Ce qui intéresse Zola, par exemple, dans l’homme, c’est surtout et presque exclusivement l’animal, et, dans chaque type humain, l’animal particulier qu’il enveloppe. Le reste, il l’élimine, au rebours des romanciers proprement idéalistes, mais par une méthode non moins algébrique. Avec son appareil lourd et compliqué de physiologie, c’est donc un simpliste. Dans « l’histoire naturelle et sociale » des Rougon-Macquart, il déclare lui-même qu’il étudiera chez ses héros « le débordement des appétits ». Il dit des personnages qui peuplent l’un de ses romans : « L’âme est parfaitement absente, et j’en conviens, puisque je l’ai voulu ainsi. » Il prétend

  1. Le Roman expérimental, pp. 33, 34, 35, 36, 37.