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la description sympathique.

en les faisant raisonner par syllogismes. Tous ces procédés de l’ancienne épopée sont usés depuis Virgile. La poésie doit aller dans le sens et selon les degrés de l’évolution scientifique, graduer tous ses points de comparaison, grandir les êtres et la vie qui est en eux sans les déformer, sans en faire des monstres aussi ridicules dans l’ordre de la pensée que dans celui de la nature.

Prêter la vie consciente et une volonté aux choses est toujours délicat, prolonger cette conception devient périlleux ; le sublime est le but visé, mais le mauvais goût, l’absurde même risquent d’être le but atteint ; et cela pour bien des raisons. En premier lieu, un entraînement a déjà été nécessaire pour faire accepter l’animation trop complète de la nature ; or, rien que pour soutenir cet entraînement, l’effort lyrique du poète devra aller grandissant, et il se heurtera bientôt à cette idée qu’il y a une contradiction véritable entre la réalité et la fiction poétique. En effet, si la vie des choses, — des montagnes, de la mer, du soleil et des étoiles, — pouvait arriver jusqu’à la conscience, jusqu’à la volonté, cette conscience ne saurait être alors identique à la nôtre ni à celle qu’imagine le poète : son drame, quoi qu’il fasse, sera toujours trop mesquin, trop étroit pour contenir la nature, sa force et sa vie. Ce n’est donc que très exceptionnellement que l’animation de la nature peut être poussée jusqu’à une vie trop manifestement intense. La plupart du temps, poètes et romanciers s’en tiendront à la vie, puissante sans doute, mais sourde, mais latente, que tous plus ou moins nous sentons dans les choses.

D’une manière générale, on peut dire qu’un des moyens d’enlever, même dans cette simple proportion, la vie à la nature, c’est de tomber dans l’analyse minutieuse des détails, d’autant plus que toute analyse est une décomposition. Et pourtant le détail a pris une importance considérable pour l’art moderne. Parfois, dans une description de Victor Hugo, de Balzac, de Flaubert, un fait négligeable en apparence, un objet minime passe soudain au premier plan ; toute la perspective habituelle semble dérangée. Les critiques classiques ne voient en cela qu’un procédé blâmable : c’est qu’ils ne font point des distinctions nécessaires. L’art de la description consiste surtout à faire coïncider les images qui passent dans l’esprit de l’écrivain non avec des souvenirs