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CONCLUSION.

ment nutrition, elle est production et fécondité. Vivre, c’est dépenser aussi bien qu’acquérir.

Après avoir posé cette loi générale de la vie physique et psychique, nous avons recherché comment on peut en faire sortir une sorte d’équivalent de l’obligation. Qu’est-ce, en somme, que l’obligation, pour qui n’admet pas d’impératif absolu ni de loi transcendante ? — Une certaine forme d’impulsion. En fait, analysez « l’obligation morale, » le « devoir, » la « loi morale » : ce qui leur donne le caractère actif, c’est l’impulsion qui en est inséparable, c’est la force demandant à s’exercer. Eh bien, c’est cette force impulsive qui nous a paru le premier équivalent naturel du devoir supra-naturel. Les utilitaires sont trop absorbés encore par des considération ? de finalité : ils sont tout entiers au but, qui est pour eux l’utilité, réductible elle-même au plaisir. Ils sont hédonistes, c’est-à-dire qu’ils font des plaisirs, sous une forme égoïste ou sympathique, le grand ressort de la vie mentale. Nous, au contraire, nous nous plaçons au point de vue de la causalité efficiente et non de la finalité ; nous constatons en nous une cause qui agit même avant l’attrait du plaisir comme but : cette cause, c’est la vie tendant par sa nature même à s’accroître et à se répandre, trouvant ainsi le plaisir comme conséquence, mais ne le prenant pas nécessairement pour fin. L’être vivant n’est pas purement et simplement un calculateur à la Bentham, un financier faisant sur son grand livre la balance des profits et des pertes : vivre, ce n’est pas calculer, c’est agir. Il y a dans l’être vivant une accumulation de force, une réserve d’activité qui se dépense non pour le plaisir de se dépenser, mais parce qu’il faut qu’elle se dépense : une cause ne peut pas ne pas produire ses effets, même sans considération de fin.