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DES RÉCOMPENSES SOCIALES.

plement, un écrivain lu. La récompense était si bien considérée jadis comme un privilège, qu’elle devenait fort souvent héréditaire, comme les fiefs ou les titres ; c’est ainsi que la prétendue justice distributive produisait en fait les plus choquantes injustices. De plus, celui même qu’on récompensait y perdait en dignité morale ; car ce qu’il recevait ne lui apparaissait à lui-même que comme un don, au lieu d’être une possession légitime. Chose remarquable, le régime économique qui tend à prédominer parmi nous a, par certains côtés, un aspect beaucoup plus moral que le régime de la prétendue justice distributive, car au lieu de faire de nous des hommes-liges, il nous fait légitimes et absolus possesseurs de tout ce que nous gagnons par notre

    bien d’ailleurs que nous ne faisons point de la « volonté » une faculté mystérieuse placée derrière les motifs. La volonté dont j’ai voulu parler est simplement pour nous le caractère, — le système des tendances de toute sorte auxquelles a coutume d’obéir l’individu et qui constituent son moi moral, — enfin la résistance plus ou moins grande, que ce fonds d’énergie intérieure est susceptible de présenter aux mobiles antisociaux. Nous croyons que l’appréciation des tribunaux portera toujours, non seulement sur la constatation des mobiles déterminants d’un acte donné, mais sur la personne même et sur le caractère de l’accusé ; il faudra toujours juger plus ou moins, non seulement les motifs ou mobiles, mais les personnes (qui ne sont elles-mêmes que des systèmes compliqués de motifs et de mobiles se contrebalançant et formant un mouvant équilibre). En d’autres termes, il n’existe qu’une responsabilité sociale, nullement morale ; mais j’ajoute que l’individu n’a pas seulement à répondre de tel ou tel acte antisocial et des mobiles passagers qui ont pu le poussera cet acte: il doit répondre de son caractère même, et c’est surtout ce caractère que la pénalité doit chercher à réformer. Les jurés veulent toujours juger la personne, se laissent toucher par les antécédents bons ou mauvais ; — ils poussent souvent la chose à l’excès ; — mais en principe, je ne crois pas qu’ils aient tort, parce qu’un acte n’est jamais isolé, qu’il est simplement un symptôme et que la sanction sociale doit porter sur tout l’individu.